Reconversion

[Enquête] Slasheur, mode d’emploi

Cette façon alternative de travailler permet de cumuler plusieurs postes à la fois, dans des domaines d’activités variés et sous des statuts souvent différents. Une manière de mieux s’insérer sur le marché de l’emploi et de s’adapter à son évolution.

 

Certes, le slashing n’est pas un phénomène nouveau. Le terme est apparu il y a quinze ans aux États-Unis, dans le best-seller de Marci Alboher dont on pourrait traduire le titre par Une personne, plusieurs carrières.

Slash désigne le signe typographique en forme de barre oblique utilisé pour séparer les fonctions occupées par un même actif  : chauffeur de taxi/développeur informatique, commercial/plaquiste, assistante de gestion/masseuse, pour ne citer que trois exemples réels. Cette tendance pourrait bien se renforcer à la suite de la pandémie. « Celle-ci a indéniablement accéléré l’hybridation, et pas seulement le mix présentiel et distanciel, souligne Marielle Barbe, consultante/conférencière/coach/formatrice/auteure. Le télétravail facilite le slashing par l’agilité qu’il offre. Et la crise économique incite à ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Elle renvoie aussi à la quête de sens, au fait d’être dépendant d’un unique employeur, au désir de se reconvertir. »

La quinquagénaire, qui a été intermittente du spectacle, vacataire, contractuelle, freelance a publié, en 2017, Profession slasheur  : Cumuler les jobs, un métier d’avenir. Elle pense que les employeurs vont s’intéresser de plus en plus à ces profils pour l’instant jugés atypiques : « Des pans entiers de l’économie ne parviennent pas à embaucher actuellement : on est dans l’impasse face à la double problématique de l’attractivité des entreprises et de l’employabilité des candidats. Les modes de recrutement sont encore très ancrés sur le statut, l’expertise, une fiche de poste précise. Or, dans la vie personnelle, les gens se développent en mode multi-dimension. Il faudrait laisser les collaborateurs faire autre chose pendant trois ou quatre heures par semaine, s’ils le souhaitent. Cela permettrait de dévoiler des ressources méconnues, à l’image de ce salarié dont l’employeur a découvert qu’il était aussi apiculteur en installant des ruches sur le toit des bureaux ! C’est bien de reconnaître de nouvelles compétences et de faire partager les passions individuelles au sein de l’équipe. »

Des activités qui se nourrissent mutuellement

Comme Sandrine Larippe, assistante administrative et commerciale à temps plein et sophrologue depuis 2019, recevant les soirs et le samedi dans son cabinet : « Pratiquant le yoga depuis dix ans, j’ai voulu acquérir plus d’outils pour améliorer la gestion du stress et la concentration. J’ai donc suivi une formation à l’institut de sophrologie du sud-ouest, à Toulouse, le weekend pendant deux ans et demi. On m’a alors suggéré de m’installer à mon compte. Mes trois enfants ayant grandi, je me suis dit « pourquoi pas ?« . J’en ai parlé à mon employeur et j’ai débuté en exerçant dans mon entreprise, à la pause de midi notamment, car mes collègues en avaient besoin. Aider les autres apporte du sens à ce que je fais. » La quadragénaire aime mener en parallèle ces deux activités qui se nourrissent mutuellement : « en étant salariée, je reste connectée au monde du travail qui évolue vite, générant de nouvelles formes de pression. De toute façon, je ne pourrais pas être sophrologue à 100 % et enchaîner les séances : je perdrais en qualité d’écoute et d’échanges. »

De son côté Bertrand Billes Garabedian, Parisien de 27 ans, a bénéficié de l’ouverture d’esprit de Mazars, cabinet international spécialisé dans l’audit : « J’y suis entré en tant que consultant immobilier fin 2018. Or le groupe prévoit dans les contrats de travail une clause de non exclusivité ce qui m’a permis de passer à temps partiel début 2021, soit trois jours par semaine et le reste, je le consacre à ma passion de toujours : les projets artistiques dans la musique, l’écriture, la réalisation et la comédie. Je suis en train de monter une société de  production avec des amis. Je me forme pour devenir assistant réalisateur et ingénieur du son. Je suis plus épanoui que jamais, après avoir pris cette décision à la suite du premier confinement. »

Si tous deux ont trouvé un bon compromis entre travail initial et développement personnel, qui se traduit en une seconde activité professionnelle, le slashing peut être motivé par de multiples autres raisons. Il est malheureusement parfois subi, avec l’essor de l’ubérisation ou le cumul de petits jobs précaires pour survivre, par exemple en tant que saisonnier. Il peut être aussi choisi, à l’occasion d’une opportunité à saisir ou du besoin d’augmenter ses revenus. Voire par prudence  : par exemple un salarié ayant envie de se reconvertir ou de créer une entreprise tout en gardant sa place avant de voler de ses propres ailes, mais aussi une personne au chômage qui opte pour plusieurs postes à temps partiel afin de s’assurer un retour plus rapide vers l’emploi.

Les multi-casquettes invoquent également le désir de liberté, de flexibilité et de changement, la nécessité de casser la routine et de sortir de leur zone de confort. Et ce quels que soient l’âge, le profil professionnel ou le secteur d’activité. Toutes les combinaisons sont possibles pour les touche-à-tout  ! Certains deviennent de véritables couteaux suisses grâce à leurs compétences variées, qu’elles soient transversales ou complémentaires. « En la matière, 1+1 = 3, puisque deux compétences qui se croisent en font émerger une troisième : il faut le valoriser auprès des recruteurs« , insiste Marielle Barbe qui donne de nombreux conseils concrets dans son livre conçu comme une boîte à outils. Même constat pour David Bibard, contrôleur de gestion pour plusieurs clients et directeur du portail du temps partagé, site web lancé il y a sept ans : « Slasher peut générer des synergies auxquelles on n’aurait pas pensé : il ne faut pas avoir peur de parler de ses différentes activités, c’est enrichissant pour soi et les autres. On apporte un regard extérieur, de la fraîcheur et du recul. »

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Travail à temps partagé

Le temps partagé est une forme particulière de slashing  : il s’agit, en général, d’un même métier exercé dans diverses sociétés, souvent des PME, qui emploient directement la personne (multisalariat) ou indirectement en passant par une entreprise de travail en temps partagé (ETTP) ou par un groupement d’employeurs (GE). Ce dernier type de structure a été privilégié par Virginie Hattry, qui a signé, en 2019, un unique CDI de 32 heures chez Par’Temps, au Mans. « C’est une association au sein de laquelle je suis responsable de la communication, tout en collaborant avec ses adhérents, des artisans et entreprises de moins de vingt employés, en tant que chargée de développement commercial, community manager et animatrice de réseaux. »  La quadragénaire est, par ailleurs, élue de sa commune et bénévole dans une association pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap). « J’apprécie cet équilibre, je ne m’ennuie jamais grâce à cette polyvalence que j’ai acquise, notamment, via la formation continue. Cependant, ce n’est pas toujours simple  ! Il est indispensable de savoir s’adapter aux différentes équipes, aux lieux et logiciels distincts. Une bonne organisation est nécessaire pour ne pas se perdre. Et beaucoup de souplesse, ce que me donne le télétravail. » Avant d’intégrer Par’Temps, Virginie Hattry était brièvement passée par le statut d’autoentrepreneur. Comme David Bibard, Marielle Barbe met en garde : « Ce statut peut être utile pour tester une nouvelle activité et se lancer. Néanmoins, il doit être provisoire parce que ses garanties sociales en matière de retraite, chômage ou maladie sont très faibles. Il y a un risque de précarisation. » L’indépendance a un prix qu’il faut bien calculer en mûrissant ses projets…

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