À l’occasion de la refonte du code du Travail prévue pour 2017, le Premier ministre a demandé à une commission de spécialistes du droit du travail, présidée par Robert Badinter, de réfléchir aux grands principes intangibles, en tout cas à l’heure actuelle, qui devront être les fondements du nouveau code. Selon Judith Bouhana, avocat, ce rapport est pour beaucoup le fruit de décisions de jurisprudence.
Sur quelle base ces principes ont-ils été construits ?
Ils ont été édités à partir de la Constitution, de lois existantes et des normes actuelles. Robert Badinter a expliqué en introduction qu’ils ont travaillé à droit constant, ce que demandait le Premier ministre. Il s’agissait de dégager des principes juridiques sur la base de l’existant.
Qu’en est-il ressorti ?
Des éléments qui n’étaient pas inclus dans le droit du travail sont désormais érigés comme grands principes. Ces normes étaient présentes dans les textes mais n’étaient pas mises en exergue jusque-là. Il y a une prise en compte des décisions émises par la jurisprudence, c’est ce qui frappe le plus. Je pense par exemple à la liberté religieuse qui apparaît dans l’article 6 indiquant que “la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché”. Autre exemple, l’égalité salariale avec article 31. Ce sont des créations de la jurisprudence qui est érigée comme principe. Ce n’est pas suffisamment expliqué, de manière assez injuste, je trouve. Car la jurisprudence est créatrice de droit, ce rapport lui rend hommage. Il faut le dire car il peut y avoir des retours en arrière de la part du législateur vis-à-vis d’une protection du salarié instituée par le juge. Le rapport lui même comporte un exemple avec la question du reclassement pour inaptitude ou licenciement pour motif économique à l’article 28. Les lois Rebsamen et Macron sont revenues considérablement sur les acquis en la matière et cet article s’appuie cette fois sur la loi et non sur les jurisprudence passées. Il rogne sur des droits qui avaient été acquis par des salariés en précisant que l’employeur peut ne pas avoir à les reclasser en fonction des dérogations prévues par la loi.
Le rapport vous paraît-il protecteur pour les salariés ?
Bien sûr, déjà parce que les choses sont plus claires. Par exemple, l’article 9 indique que : “La conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle familiale est recherchée dans la relation de travail.” Il va avec l’article 12 qui souligne la bonne foi de l’exécution du contrat de travail. Cette notion est souvent liée aux demandes des femmes pour aménager leur temps de travail qui peuvent se confronter à des refus. Il va falloir désormais examiner si ces demandes sont rejetées de bonne ou mauvaise foi. On vient nous dire qu’il faut une conciliation, cela ressort comme grand principe. Cela pourra être utilisé par les techniciens du droit pour la défense des salariés.
Concernant le point sensible de la durée normale du temps de travail, l’article 33 indique que la loi “détermine les conditions dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent retenir une durée différente”. Est-ce une manière de se défausser ?
Non, car il n’a pas été demandé à ce que le rapport soit détaillé, seulement de dégager des principes. La loi demeure ce qui détermine la limite du travail, mais il est indiqué qu’il pourra y avoir des exceptions. Tout le rapport fonctionne de la même manière. Mais il faut souligner que les dérogations aux principes énoncés sont quand même peu nombreuses. Ce n’est pas le cas sur la question de la dignité par exemple, comme l’indique l’article 2 : “Toute personne a droit au respect de sa dignité dans le travail”. Rien ne vient déroger cette règle. En revanche sur la question du temps de travail, il reste fixé par la loi, même s’il est prévu que certains secteurs passent outre. On peut y voir un creuset, mais les dérogations aux 35 heures existent déjà, comme avec la notion de forfait jours. Il n’y a pas vraiment de recul sur la question.
La même question pourrait être posée concernant l’article 34 et la question du repos hebdomadaire…
Le repos hebdomadaire le dimanche est érigé en principe fondamental, c’est affirmé. Après, il est indiqué “sauf dérogation”, mais cela existe déjà encore une fois. Il est possible d’en avoir une lecture disant que cela ouvre une brèche, mais cela reste personnel. Cet article ne fait que rappeler la loi. Concernant les 35 heures, j’observe la volonté du législateur d’amener les partenaires sociaux à faire évoluer la loi, tandis que pour le travail du dimanche, les dérogations resteront fixées par celle-ci.
L’idée derrière la réflexion sur ce nouveau code du Travail n’était-elle pas justement de laisser plus de place aux accords de branche et d’entreprise ?
Si, et l’article 51 le dit : tout ce qui va réformer la législation du travail relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle et fait l’objet d’une discussion préalable avec les partenaires sociaux. C’est mis en exergue et en plus en tête de la liste du chapitre Négociation collective et dialogue social. Mais comme le rappelle l’article 55, ces négociations restent encadrées par la loi. Cela évoque le modèle allemand de dialogue social. La logique, c’est de faire que les normes soient accueillies de manière différente : qu’elles soient de moins en moins imposées par le législateur mais plutôt négociées par les partenaires sociaux. Les articles 56 et 57 précisent que, en cas de conflit, c’est la norme la plus favorable aux salariés qui est retenue.
Quels autres points vous ont paru intéressants à retenir ?
L’article 3 par exemple protège le secret de la vie privée et les données personnelles. Le rapport est ancré dans le monde du multimédia, cela ne faisait pas l’objet d’une loi auparavant, c’est aussi une création de la jurisprudence.
Y a-t-il des manquements ?
L’article 59 rappelle que toute personne a droit de porter un litige devant une juridiction mais il n’est pas précisé que cela doit être le cas dans un délai raisonnable. Or, les litiges portés aux Prud’hommes sont parmi les plus longs. Qu’on ne vienne pas dire que cela n’a pas été rappelé parce que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme le garantit déjà !