Emploi

Reprendre le travail après un accident : « Il faut apprendre à vivre avec son handicap »

Au cours de la vie professionnelle, les accidents du travail peuvent survenir à tout moment. Tout particulièrement dans les professions plus exposées aux risques comme les usines et les sites industriels. Dans certains cas, cela peut causer un handicap qui implique tout un travail psychologique et de rééducation pour retrouver le fil de sa carrière. Victor, 30 ans, amputé de trois phalanges à la suite d’un accident professionnel, en témoigne.

« En témoignant sur mon parcours, j’espère pouvoir participer à l’ouverture d’esprit sur le handicap et sur les accidents du travail. Parler de mon accident a beaucoup joué dans ma guérison psychologique », explique Victor. C’est en janvier 2023 que le jeune homme a été victime d’un accident, dans l’usine d’épuration de Lille dans laquelle il travaille en tant que technicien d’usine. Lors d’une nuit de travail durant laquelle il est seul à l’usine et doit assurer un rôle de surveillance et de supervision, il repère une machine en panne. Il intervient, mais ne parvient pas à la relancer. Il décide donc de retirer à la main la matière obstruant la machine, mais il remonte trop loin. « Cela s’est passé en quelques secondes de flottement, je me suis fait attraper les doigts par le mécanisme et il était trop tard. Avec l’adrénaline, je suis passé en pilote automatique, je n’avais plus d’émotions. J’ai dû reprendre la voiture de service pour aller me mettre en sécurité au bâtiment principal et appeler les pompiers », se souvient Victor. Une fois pris en charge, il prend conscience de son accident : il a perdu deux phalanges sur l’index et une sur le majeur de sa main gauche.

Avec le soutien de son entourage et l’envie de rebondir au plus vite, il se lance alors dans sa convalescence et sa reconstruction psychologique. « L’opération s’est bien passée, et j’ai eu la chance d’être tout de suite bien entouré, par ma compagne et par mes proches, mais aussi dans le cadre professionnel, rapporte le jeune homme. Je savais que je n’avais pas travaillé en sécurité en intervenant de la sorte sur la machine, mes collègues m’avaient dit de ne pas m’en occuper seul. Mais je voulais trop bien faire, cela faisait moins d’un an que je travaillais dans l’usine. Je me suis mis en danger sans m’en rendre compte. »

Se reconstruire

S’il souligne que son entreprise ne l’a peut-être pas suffisamment recadré ou limité et que l’accident aurait pu être évité avec plus de prudence de sa part, Victor est déterminé à revenir au travail : « J’adore mon métier, c’était évident pour moi que j’allais retourner dans la même entreprise, voire sur le même poste. Même si je gardais en tête l’option d’un poste aménagé si besoin. J’ai connu une grosse errance professionnelle. J’ai mis 10 ans à trouver ce job qui m’épanouissait vraiment, et l’accident m’a beaucoup fait culpabiliser par rapport à ça. » Pour cela, il suit une longue rééducation de plusieurs semaines, durant lesquelles il est en arrêt de travail. Entre temps, il subit une seconde opération, à cause d’une infection osseuse, qui lui fait perdre un demi centimètre de plus sur l’index. « J’ai tout de suite commencé à me renseigner sur les prothèses qui existent. Je faisais du piano à l’époque, et je voulais retrouver le plus possible mes aptitudes d’avant, dans la vie perso comme dans la vie pro », ajoute Victor.

Via une orthoprothésiste, quatre mois après son accident, il est alors mis en contact avec Össur, une société développant une toute nouvelle prothèse de main. En acceptant de partager son expérience et de participer à la sensibilisation autour du handicap, il devient ambassadeur de la marque, et peut faire l’expérience des prothèses sur mesure Naked Prosthetics dans sa vie personnelle. « J’ai été équipé de ma prothèse fin septembre, début octobre 2023, sachant que je suis retourné au travail en juin 2023, six mois après l’accident. »

Retour au travail

Pour son retour à l’usine, il est accueilli chaleureusement par ses collègues et son équipe, pour qui l’accident a également été un choc collectif. « Ils ont commencé par me mettre sur un poste de surveillance de process, avec un peu de contact sur le terrain, explique Victor. C’était une de mes conditions de reprise, pour que le choc ne se transforme pas en traumatisme. J’étais en doublon au début, et non seul. J’ai été vraiment bien accompagné pour reprendre. Un an plus tard, il n’y a pas un jour où on m’a fait me sentir à part. Il a aussi fallu que je retrouve confiance en moi au travail, et confiance en ma direction que j’estimais en partie responsable, en raison de la surcharge de travail et parce que mes collègues avaient signalé à ma direction que je prenais des risques et que certaines normes de sécurité n’étaient pas toujours respectées. Aujourd’hui, mon évolution suit son cours comme avant l’accident, et tout le cadre de sécurité du site a été redéfini. »

Pour Victor, ce retour réussi est l’aboutissement, sur le plan professionnel, de son rebond et de sa reconstruction après l’accident. « Au début, j’avais un peu honte de ma main et de ce qui était arrivé, et mon entourage m’a complètement détendu par rapport à cela, se confie-t-il. Cela m’a permis de faire le deuil de mes doigts et de me motiver à réapprendre à utiliser ma main. J’ai avancé et assumé en acceptant l’accident. Je n’ai pas eu le contrôle qu’il fallait à ce moment, mais je dois laisser ça derrière moi. Parce que je ne pourrai jamais retourner en arrière. Les prothèses ont énormément apporté à ma reconstruction. Dans le cadre perso, cela a complètement effacé le poids du handicap, j’ai pu reprendre le piano. Et avec ce poids en moins, cela a facilité ma reprise professionnelle. En revanche, je ne peux pas encore les amener au travail, parce que des négociations sont en cours vis-à-vis de leur financement. » En effet, les prothèses lui sont aujourd’hui prêtées par le fabricant (chaque doigt coûte entre 10 et 15 000 euros), et l’entreprise de Victor a accepté de participer en partie au financement.

En définitive, Victor mesure le chemin parcouru depuis son accident, et apporte aujourd’hui son expérience et son recul à d’autres personnes connaissant une trajectoire similaire: « Le plus gros boulot est psychologique. Je pense que c’est important d’aborder la survenue du handicap comme un deuil, pour apprendre à l’accepter et à vivre avec. Mais cela reste très personnel, je rencontre d’autres personnes handicapées qui n’ont pas la même approche. Pour ma part, il m’a fallu assumer mon handicap, le mettre en avant. »

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