Comment définir la créativité ?
Alexis Botaya. Ce n’est pas facile ! Pour moi, se réinventer serait la meilleure définition de la créativité s’il fallait en trouver une. Partir de là où je suis et, plutôt que de suivre la route toute tracée, essayer d’en tracer une moi-même, sans trop savoir où je vais. Cela implique de l’audace et d’être capable de faire des pas de côté. Dans les médias, la créativité est incarnée par de grands artistes, scientifiques, designers ou startuppers. Du coup, cela place la barre extrêmement haut. Et on en oublie ce que j’appelle la créativité grise. Une petite créativité du quotidien, des moments de lâcher prise, comme quand on chante sous la douche ou au volant. Enfin, être créatif, ce n’est pas avoir 1 000 idées à la seconde. Avoir des idées, c’est relativement facile. La grosse difficulté, c’est de passer à l’étape d’après. Il faut accepter de les travailler et de les perfectionner au contact du terrain, de collègues, de gens qui ne pensent pas comme vous, etc. Être créatif, ce n’est pas juste avoir des idées, c’est s’engager dans la durée. Le processus créatif est long. Nourrir sa créativité en lisant des livres, en regardant des films ou en allant voir des expos, c’est 5 % du processus créatif. Les 95 % restants, c’est de la transpiration pour améliorer son idée, prendre des râteaux et se relever.
L’échec fait donc partie du processus créatif ?
A.B. Oui, il faut de la résilience à l’échec. C’est sûr. Parce qu’innover, créer, cela veut dire se planter. Cela veut dire itérer. Et il faut être prêt à l’accepter. Donc, il faut de la bienveillance vis-à-vis de soi-même quand on est dans une démarche individuelle. Quand c’est une organisation, il faut de la bienveillance du management.
Quelles sont les idées reçues sur la créativité ?
A.B. La première : il y aurait des profils créatifs et d’autres qui ne le sont pas. En fait, tout le monde a une capacité créative. En revanche, tout le monde n’a pas la même capacité à puiser dans ce gisement. La question, c’est plus la mobilisation de cette capacité. La seconde idée reçue : il y aurait des conditions idéales pour être créatif. C’est une manière de se trouver de bonnes excuses pour ne pas exprimer sa créativité. Or, comme le rappelle l’innovation frugale, il faut apprendre à faire avec les moyens du bord. Être astucieux, c’est déjà faire preuve de créativité. Troisième idée reçue : il y aurait un âge pour être créatif. Il faudrait avoir la vingtaine ou une petite trentaine, quand on n’a pas de contraintes et du temps pour soi. Or, si l’on s’intéresse à la créativité entrepreneuriale, on s’aperçoit que l’on peut entreprendre à tout âge. Dernière idée reçue : il y aurait des méthodes pour être créatif et trouver l’idée du siècle. Si c’était vrai, tout le monde le ferait déjà ! Le design thinking est probablement l’une des méthodes les plus efficaces, mais elle est insuffisante. Il n’y a pas de méthode parfaite pour plein de raisons : déjà parce qu’une méthode est bornée dans le temps, et que la créativité s’en accommode assez mal.
Pourquoi est-ce aujourd’hui une compétence indispensable ?
A.B. Parce que toutes les entreprises sont obligées aujourd’hui de se réinventer, notamment avec la transformation digitale et l’accélération des changements. Il y a de nouveaux chemins à explorer. Cela demande de l’agilité et de l’audace.
Comment la développer ?
A.B. À l’échelle individuelle, c’est avant tout un état d’esprit. Une des premières choses, je dirais, c’est d’être capable de questionner les évidences. On vit tous dans une box. C’est normal et souhaitable, cela nous évite de toujours avoir à réfléchir à ce que l’on fait. Ce mode automatique nous permet d’être plus efficaces sur des routines qui seraient assommantes sinon. Mais, le problème, c’est que cela peut envahir toute notre vie, y compris le travail, y compris notre mode de pensée. Quand on veut être créatif, on est un peu prisonnier de cette boîte que les chercheurs appellent, et notamment Daniel Kahneman, les heuristiques de jugement. Ce sont des réflexes de pensée. Être créatif, c’est réussir à en sortir. Pour cela, il faut donc déjà avoir conscience qu’on est dedans. C’est un travail de pleine conscience. Ce n’est pas pour rien qu’un certain nombre d’entrepreneurs de la Silicon Valley, ou même des artistes comme David Lynch, sont des grands fans de pleine conscience. C’est parce que cela leur permet d’être conscients de leur routine de pensée et de casser ces automatismes pour être créatifs.
S’il n’y a pas de méthode miracle, certaines sont-elles tout de même efficaces ?
A.B. Oui, il y a des méthodes qui ont quand même prouvé leur efficacité. Par exemple, celle des « 5 pourquoi » qui a été créée sur la chaîne de production Toyota pour identifier des erreurs. Elle est très utile quand on veut questionner des évidences. C’est une démarche de designer. Pourquoi on fait comme ça ? Pourquoi on ne pourrait pas faire autrement ? Si vous êtes bloqué, plutôt que d’aller voir des gens qui pensent comme vous pour leur demander comment ils feraient pour s’en sortir, allez voir des gens qui ne pensent pas comme vous, qui n’ont pas donc le même logiciel de pensée que vous. Ces derniers peuvent trouver des solutions différentes aux problèmes. Il y a des tas d’études scientifiques sur le sujet qui sont absolument fascinantes.