Depuis mi-mai, face aux conséquences économiques de la crise du Covid-19, Ryanair propose à son personnel français de baisser son salaire pour éviter des licenciements. Mais pourrait-elle le lui imposer, sur papier ? Oui, à certaines conditions. Les réponses de Timothé Lefebvre, avocat au barreau de Paris.
Un employeur peut-il imposer une baisse de salaire à un salarié de façon unilatérale ?
Il faut distinguer deux éléments : soit l’entreprise est motivée par un motif économique, soit non. S’il n’y en a pas, elle est contrainte d’obtenir l’accord du salarié, étant donné qu’il s’agit d’une modification du contrat de travail ; et si le salarié refuse, elle ne peut pas le licencier. Si l’employeur décide de diminuer le salaire d’un collaborateur sans son accord, de manière unilatérale, il s’expose à des sanctions pénales.
En revanche, s’il y a un motif économique, le choix du collaborateur sera plus cornélien. L’employeur dispose de deux solutions : soit il passe par la menace d’un licenciement économique, soit il signe un accord de performance collective (APC).
Pas plus tard que ce matin, sur France Info, Muriel Pénicaud condamnait le “chantage aux licenciements” de Ryanair. Mais la ministre oublie justement que la filiale française de la compagnie aérienne irlandaise ne fait rien d’autre que tenter d’utiliser des dispositions permises par les ordonnances Macron de 2017 (réformant le Code du travail), notamment l’APC.
Cet accord, prévu par l’article L 22-54-2 du Code du travail, peut aménager la durée du travail, mais aussi la rémunération, “afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi”. L’APC est signé par l’employeur et les délégués syndicaux (sans que les représentants du personnel et le CSE aient besoin d’être consultés).
Qu’advient-il si le salarié refuse de baisser son salaire ?
Dès lors que le motif est économique, la liberté est assez contrainte. Si un APC est signé et qu’il prévoit la baisse de rémunération des salariés, ceux-ci se voient proposer un avenant à leur contrat de travail. Ils sont libres de le refuser, mais s’ils le font, ils peuvent être licenciés.
L’APC prévoit une baisse générale des salaires ; il s’impose à tous les salariés concernés par l’accord, qui s’appliquera pendant 5 ans maximum. Si l’employeur veut baisser le salaire d’un salarié en particulier, il ne s’agira pas ici d’un accord de performance collective, mais de la menace d’un licenciement économique “classique”. Là encore, l’entreprise propose à son collaborateur un avenant. Il peut encore une fois refuser, mais encourt le risque d’être licencié, pour motif économique. Ici aussi, la liberté est donc “contrôlée”.
Un potentiel licenciement sera-t-il malgré tout contestable ?
Si la baisse de revenus concerne un seul salarié, s’il s’agit donc d’un licenciement économique classique ; le salarié peut facilement le contester devant le conseil des prud’hommes. Il lui suffit en effet de démontrer que la cause économique sanctionnant son refus n’était pas justifiée ; pour cela, une appréciation des faits et un examen des comptes de l’entreprise peuvent être réalisés par le juge. Notons qu’en raison de la crise économique actuelle, il risque d’être difficile à un salarié de faire requalifier son licenciement économique en licenciement sans cause réelle et sérieuse… Mais il lui reste toujours cette marge de manœuvre.
En revanche, dans le cadre de l’APC, il ne s’agit pas d’un licenciement économique, mais d’un licenciement fondé sur le refus d’un accord signé : un licenciement sui generis. Bien sur, le salarié pourra toujours tenter de passer devant le conseil des prud’hommes, et essayer de trouver des raisons pour lesquelles l’accord de performance collective ne serait pas valable. Mais il ne s’agira jamais que d’un potentiel vice de formes : par exemple, s’il n’a pas été signé par des organisations syndicales qui représenteraient au moins 50 % des salariés. Mais au-delà de ces irrégularités potentielles, le collaborateur ne peut pas contester la cause économique de son licenciement, puisqu’il s’agit d’un licenciement sui generis.
Il faut malgré tout garder en tête que les circonstances actuelles sont exceptionnelles. Le gouvernement essaie de sauver l’emploi à tout prix, et les entreprises aussi ; quitte à baisser les salaires, ou la durée du travail. Et si Muriel Pénicaud laisse entendre concernant Ryanair qu’un APC engage en contrepartie l’entreprise à ne pas supprimer de postes, c’est faux. Dans l’article L 22-54-2 du Code du travail, seuls les objectifs poursuivis par l’accord doivent être définis. Mais aucune contrepartie n’est obligatoire.