Vous affirmez que garder son idée pour soi est un très mauvais réflexe adopté par les entrepreneurs débutants, pourquoi ?
En premier lieu, il faut rappeler qu’une idée brute ne sera jamais l’idée du siècle. La personne à l’origine de cette idée n’a pas suffisamment de recul pour analyser et juger elle-même sa propre idée. En n’en parlant pas et en la gardant secrète, elle perd de fait cette capacité de la faire évoluer, de l’orienter dans le bon sens. La deuxième chose, c’est que ne pas en parler pousse à attendre le dernier moment pour sortir du bois, pour confronter son idée et son projet au marché. Cela pousse à aller le plus loin possible dans le développement de son idée, en se disant qu’il faut prendre de l’avance sur la potentielle concurrence. Toutefois, tout ce temps investi est contre-productif sans retour du marché ou de son entourage. On peut aller dans la mauvaise direction sans s’en rendre compte. Il faut au contraire allouer ce temps au travail sur la mise en pratique de l’idée, les débuts de la création d’une communauté autour de son marché quand c’est possible, générer ses premiers contacts…
Une idée isolée n’a donc pas de valeur ?
Exactement. Tout le monde a des idées. Votre idée, d’autres y ont déjà pensé, mais ont sans doute abandonné ou échoué au moment de l’exécution. Un exemple absurde : les voitures volantes ! C’est ce qui me fait dire qu’une idée n’a absolument aucune valeur, seule son exécution compte. Si vous pensez que votre seule valeur en tant qu’entrepreneur, c’est votre idée, et qu’en conséquence vous ne devez pas en parler, ce n’est vraiment pas vous rendre service ni vous mettre en valeur auprès des investisseurs.
Je dis souvent, mon premier conseil : faites-vous piquer votre idée ! On pourrait me répondre qu’il y a la propriété intellectuelle, les brevets… Mais il ne faut pas confondre une idée avec un processus d’application et de mise en route. On ne dépose pas un brevet sur une simple idée.
Vous conseillez de parler de son idée dès que possible ?
Il faut en parler oui, mais cela ne veut pas dire pour autant la publier, la tweeter ou tout révéler de son projet. Cela étant dit, il faut absolument en parler avec d’autres personnes et sortir de la paranoïa de voir quelqu’un vous voler votre idée. On peut bien sûr déjà en parler à son entourage et à ses proches, mais aussi à des professionnels de façon informelle. Il faut bien comprendre que les investisseurs n’en ont rien à faire des idées. Une idée n’est pas valorisable en tant que telle et on ne signe pas des accords de confidentialité pour une idée. Ce qui intéresse les investisseurs, c’est comment allez-vous implémenter votre idée ? Comment ça marche ? Quels sont vos secrets industriels ?
Je pense également que beaucoup de personnes qui restent dans cet état d’esprit de « j’ai peur de me faire piquer mon idée, donc je n’en parle pas », s’en font une bonne excuse pour ne pas avancer.
Ne pas en parler serait une solution de facilité ?
C’est comme une manière de ne pas aller dans l’action, oui. Ne pas parler de son idée, ne pas la challenger, c’est rester dans son petit univers. On peut avoir envie d’entreprendre, rêver sa vie d’entrepreneur et de porteur de projets, mais le juge de paix, c’est l’action. Il ne faut pas commettre l’erreur de trop réfléchir et de faire tout un business plan avant même d’en parler. En général, l’immense majorité des premières idées sont à côté de la plaque ou inapplicables, mais il y a souvent quelque chose à en retirer pour en faire quelque chose de viable, dans une direction différente. J’en ai moi-même fait l’expérience, lorsque j’ai eu l’idée, en 2010, de créer une application scannant des codes-barres de produits pour générer automatiquement un like sur le fil Facebook de l’utilisateur. Je pensais que ça allait cartonner, mais en présentant un premier prototype à des amis, on m’a vite fait comprendre que ça n’allait pas marcher. C’était la douche froide, mais en travaillant sur cette base et en la faisant évoluer grâce aux critiques, j’en suis venu à créer Prixing, un comparateur de prix de grande consommation.
Pitcher son projet et parler de son idée, c’est la meilleure école et la meilleure façon de progresser. Il faut échanger avec ses pairs. Et ne pas oublier qu’on ne présente pas seulement une idée brute à un investisseur. Il faut une exécution, des preuves de marché… Tout ce qu’on ne peut pas construire sans parler de son idée. C’est pour cela que les inventeurs ne font pas forcément de bons entrepreneurs.