Entreprendre

« Le handicap n’est pas rédhibitoire pour l’entrepreneuriat »

En matière d’insertion professionnelle, l’entrepreneuriat peut être une alternative intéressante et pérenne pour les personnes en situation de handicap, face par exemple aux difficultés rencontrées dans le salariat. Et ce, notamment en levant les représentations sociales sur le handicap, pour se concentrer sur les potentiels. Décryptage avec Sophie Jalabert, déléguée générale du réseau d’appui aux entrepreneurs BGE.

Quels sont les fondements des accompagnements d’entrepreneurs que propose le réseau BGE ?

Le réseau BGE a été créé il y a 45 ans, notamment face au constat qu’en France, l’entrepreneuriat témoignait d’une forte reproduction sociale. Il y avait l’idée d’accompagner des nouveaux profils de créateurs et créatrices d’entreprises, de travailler sur des stratégies émancipatrices pour lutter contre le déterminisme social grâce à l’entrepreneuriat. Le réseau s’est donc attaché à aller chercher des entrepreneurs partout où ils pourraient être, et notamment parmi des populations éloignées de l’emploi, qui ont beaucoup de motivations et d’idées, mais qui manquent parfois de compétences techniques et de moyens pour entreprendre.

Nous avons vite constaté qu’effectivement, l’envie d’entreprendre ne dépend aucunement des sociotypes et il n’y a pas une population qui est plus entrepreneuse qu’une autre. 45 ans après, 120 000 personnes sollicitent le réseau chaque année, par envie d’entreprendre. Et en 2023, nous avons accompagné 8 000 porteurs de projet en situation de handicap, dont 65 % avaient un niveau bac ou infra-bac, pour 2 000 créations d’entreprise.

Comment conseillez-vous d’aborder l’entrepreneuriat ?

Très souvent, dans les premières questions que les gens se posent, on s’interroge sur la structuration juridique, sur le financement. La vraie question, c’est plutôt que vais-je vendre ? à qui ? Et donc, est-ce que je sais vendre ? Un entrepreneur, c’est d’abord quelqu’un qui vend, et ensuite, il doit gérer et manager. C’est quelque chose qui n’est pas suffisamment pris en compte par beaucoup. Il faut rappeler la réalité de l’entrepreneuriat : beaucoup de personnes se lancent, mais ne parviennent pas à vivre de leur activité. On a environ un million d’immatriculations nouvelles chaque année, mais selon les chiffres de l’Insee, 20 % des trois millions d’indépendants/micro-entrepreneur vivent sous le seuil de pauvreté. Il y a donc un vrai sujet sur la création de valeur. L’envie d’entreprendre est là, la réussite du projet, c’est autre chose.

Dans quelle mesure le handicap impacte-t-il la genèse d’un projet d’entreprise ?

Il y a l’entrepreneuriat des personnes handicapées, l’entrepreneuriat des quartiers dits difficiles, l’entrepreneuriat des femmes… Vous n’êtes jamais uniquement un habitant des quartiers, uniquement une femme ou uniquement une personne handicapée. Les capacités pour entreprendre ne sont pas socialement normées, c’est une affaire de caractère. Reste qu’il y a tout de même des problématiques spécifiques à gérer en matière de handicap. La vraie question, c’est, en quelle mesure votre handicap va impacter votre activité en termes de capacité de travail, de mobilité, de communication ? La première phase de notre accompagnement, c’est donc de mesurer si, et à quel point, le handicap concerné sera un frein, avant de réfléchir à commencer le compenser.

Chaque cas est différent, et la pluralité des handicaps aboutit à des difficultés variables. Un handicap invisible, par exemple, sera très peu ou pas perçu par le client, et peut ainsi être un non-sujet sur le côté relation commerciale. En revanche, si ce même handicap limite ma capacité de travail et provoque de l’épuisement, cela va altérer ma production et mes horaires.

Le handicap est donc une problématique supplémentaire à gérer, parmi d’autres ?

En matière de freins, une personne en situation de handicap va rencontrer des difficultés similaires aux personnes dites valides : manque de confiance en soi, doute sur sa capacité à faire, syndrome de l’imposteur… Et de la même façon, certaines personnes handicapées se disent prêtes à déplacer des montagnes par pure force de caractère comme n’importe quelle personne très motivée. C’est important d’expliquer qu’un entrepreneur en situation de handicap sera confronté aux mêmes questions, aux mêmes dilemmes, avec des écueils en plus à éviter sur la compensation de son handicap. C’est pour cela que l’on se concentre dans l’accompagnement sur la gestion du contexte autour de la personne, pour faire abstraction des représentations sociales et ne pas enfermer l’entrepreneur dans une case « handicap ».

Quel message adressez-vous aux personnes concernées ?

Il faut dire et répéter que non, le handicap n’est pas rédhibitoire pour l’entrepreneuriat, même quand il s’agit d’un handicap lourd. Et qu’il n’est pas neutre non plus, et nécessite donc de l’adaptation et de la résilience. Je pense notamment à une entrepreneuse que nous avons accompagnée, et qui portait un handicap psychique important. Elle dessinait des papiers peints et était très douée, mais n’était pas capable de faire tourner une entreprise à elle seule. Elle a donc monté son projet avec un associé et un accompagnement qui a permis de faire de son don et de ses idées un projet viable.

Nous accompagnons aussi des personnes handicapées pour qui l’entrepreneuriat est presque une solution de dernier recours et la réussite impérative, après avoir longtemps peiné à s’insérer dans le salariat. Et, dans ces cas-là, la réussite est d’autant plus compromise. Quel que soit le profil, il faut le faire par conviction, passion, ou volonté.

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