Reconversion

On a testé le métier de serveur-chef de rang

Le Bouillon Pigalle est une institution très prisée par les touristes

Les tables sont redressées avant le service

Un serveur doit souvent porter des plateaux très chargés

Il faut régulièrement débarrasser et redresser

En cuisine, on annonce les commandes aux cuisiniers

Les plats s'enchainent

Afin de découvrir cette profession à la fois exigeante et stimulante, nous avons suivi Noaman Lakbir, 42 ans, chef de rang au Bouillon Pigalle, à Paris, lors de son service du soir. Profils multitâches et dynamiques bienvenus pour ce métier très recherché dans la restauration.

Quand nous passons la porte du Bouillon Pigalle sur les coups de 17h, la salle de l’institution de la place parisienne est déjà bien remplie. Et pour cause, le restaurant qui propose une cuisine française simple et rapide est ouvert tous les jours de midi à minuit et sert sans discontinuer. La cuisine et les serveurs font manger jusqu’à plus de 2 000 personnes par jour, dont une très importante clientèle étrangère. Noaman Lakbir, chef de rang de 42 ans, a intégré le Bouillon il y a 7 ans. D’établissement en établissement, notre quarantenaire a appris les rouages du secteur et acquis l’aisance du service. « C’est vraiment un métier où il faut se faire les dents, pas le choix », confie-t-il. Aujourd’hui chef de rang, il a donc, lors de chaque service, la responsabilité d’un groupe de tables – le rang – dont il assure le service de A à Z, ainsi que la facturation. Il peut également encadrer un ou plusieurs commis, qui complètent l’équipe de service.

Dans un restaurant de ce genre, tout est organisé. « Un rang, c’est entre 8 et 12 tables. Tout ce qu’il se passe sur ces tables, c’est ma responsabilité », explique Noaman. Avant de prendre son service, de 18 h à minuit, Noaman avale une petite collation. Expérience oblige, il a déjà bien mangé à midi, en prévision de son long shift du soir. Pour ma part, j’enfile la chemise blanche portée par les serveurs, et je rentre dans mon rôle de jeune commis d’un jour.

Un métier, plusieurs missions

Avant le coup de feu de 18 h, Noaman doit préparer son rang. En quelques minutes, je l’aide à redresser les tables. C’est là la première des nombreuses tâches d’un chef de rang : se préparer pour le service, en s’assurant au passage auprès de la cuisine que tous les plats sont bien disponibles. Pas de risque au Bouillon : la majorité des lignes du menu sont soit déjà prêtes (entrées froides, desserts…), soit simplement à assembler ou à terminer de cuire (entrées et plats chauds, plats en sauces…). Durant son service, de 18h à minuit, le chef de rang fait des allers-retours entre la cuisine et la salle. « Ce qui me plaît, c’est l’interaction avec les gens, de les faire kiffer leur repas. Quand les clients arrivent souriants et repartent souriants, ça fait toujours plaisir », nous assure Noaman.

Une fois le service bouclé et les derniers clients partis, la journée n’est pas encore terminée. « Avant la fermeture, il faut faire sa caisse, le redressage des tables de son rang et de la salle, passer le balai, s’occuper des poubelles… Chaque semaine, je fais deux fermetures : je travaille de 18 h à 2 h du matin le vendredi et le lundi, et de midi à minuit ou 1 h du matin le samedi et le dimanche. Cela me permet d’avoir trois jours et demi de repos », résume-t-il. Ici, comme dans beaucoup de restaurants, le salaire est gonflé par plusieurs variables : le chiffre d’affaires et les pourboires. « Plus il y a de monde, plus on est payés, souligne Noaman. Et 100 % des pourboires reviennent au personnel : quand il fait sa caisse, un chef de rang reverse une partie à son commis – s’il en a eu un pendant le service – ainsi qu’au runner et à la cuisine. »

Un rythme effréné

Noaman échange rapidement avec son runner, qui lui propose d’installer une table de six personnes ainsi qu’un couple. Noaman confirme. Et c’est parti, son rang commence à se remplir et il doit amener les premières cartes. En l’occurrence, c’est une table de Coréens et un couple britannique. Heureusement, le restaurant dispose de menus dans les langues les plus communes (anglais, espagnol, allemand, chinois, japonais, coréen…). « On a des serveurs expérimentés, mais aussi des profils plus jeunes, comme le dernier arrivé qui sortait de chez Quick. On peut réussir avec peu d’expérience, mais il faut prendre le rythme, l’absorber et l’assumer. » Dès les premières prises de commandes, je prends la mesure de la frénésie du métier de serveur au sein d’un restaurant bondé. Pas un moment de flottement, les chefs de rang sont sollicités de toutes parts et s’occupent de leurs tables dans un ballet de plateaux. Les bœufs bourguignons, soupes à l’oignon, œufs mimosas, échines de porc et autres poireaux vinaigrettes s’enchaînent.

À mon tour, j’apporte, ici, un menu en anglais, là, un trio de bières et les premières entrées froides. « C’est physique, je fais des journées à 15 km, me lance Noaman. C’est ce côté fatigant qui n’est pas facile tous les jours, il y a de la répétition, de la marche, du poids à porter (il faut voir la taille et le chargement des plateaux !), mais c’est aussi ce dynamisme qui me plaît. » D’autant plus que dans cet établissement, qui sert sans discontinuer, les clients se succèdent rapidement. À chaque départ de clients, le même enchaînement : débarrassage, redressage et accueil des suivants. À lui seul, Noaman a déjà atteint 175 couverts par jour, et en a réalisé 19 000 l’année dernière !

De la cuisine à la table et inversement

Un échange en français, un autre en anglais, une plaisanterie auprès d’une tablée joviale, un conseil sur le vin ou sur les plats à partager… Et tout ça, avec le sourire ! L’expérience et l’énergie du chef de rang se font ressentir. Ce dernier prend même le temps de charrier son collègue, qui est ce soir le malheureux faisant tomber un verre de son plateau. Pour chaque table, le même cheminement : à l’aide de son pad de commande, le serveur note les entrées, les plats et les boissons. À chaque table, son numéro et sa note, enregistrés par la machine. Puis, direction la cuisine. Attention, il y a un sens de circulation à respecter pour éviter au maximum les collisions ! Une entrée et une sortie. Premier arrêt : le poste des boissons. Pour faciliter le travail des serveurs, les tireuses à bière sont prêtes à l’emploi. Et il y a même des tireuses à vin. Deux employés tiennent le poste et peuvent préparer des carafes en avance. Ensuite, en suivant le sens de circulation : la cuisine. Ou du moins, le poste de cuisson et le poste d’envoi des plats, puisque les préparations de base sont réalisées par une autre équipe à l’étage du dessous. En haut, les cuistots se contentent de terminer les cuissons, d’assembler et de réchauffer les préparations.

À son arrivée, le chef de rang doit prendre le soin d’annoncer à haute voix la commande de plats chauds, en s’assurant qu’il est écouté : « Allô ? J’annonce : un steak à point, un bourguignon, un poulet ! » S’il s’agit d’entrées froides ou de desserts, tout est déjà prêt et réfrigéré, le serveur n’a qu’à prendre les assiettes au passage. Et, en quelques dizaines de secondes, les plats chauds sont déjà disponibles. À peine le temps de charger le plateau, que c’est le retour en salle et le service. Au passage, un arrêt impératif par le poste central, où un employé note à nouveau chaque plat envoyé, pour chaque table. En l’espace de moins de cinq minutes après la commande, les clients peuvent déjà être servis. Et rebelote. Tout au long du service, il faut toujours rester à l’affût d’une demande, d’une carafe d’eau à remplacer, d’une nouvelle boisson à apporter, d’une commande de desserts ou de cafés. Noaman ne s’accorde qu’une très rapide pause-cigarette en coup de vent, avant de repartir de plus belle. Pour ma part, si je l’assiste ici et là, je suis bien incapable de porter un des plateaux chargés de plats sans tituber ou risquer de tout envoyer valser. Le service et son efficacité, ce sont tout un métier ! Pas d’improvisation possible, mais de quoi séduire les candidats dynamiques en quête de frénésie.

Photographies par Mickaël Icard

Ajouter un commentaire

Votre adresse IP ne sera pas collectée Vous pouvez renseigner votre prénom ou votre pseudo si vous êtes un humain. (Votre commentaire sera soumis à une modération)