Reconversion

On a testé pour vous la vente et la réparation de vélo

Cet article est issu du dossier "On a testé le métier"

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La pandémie a accéléré l’engouement pour les mobilités douces et les loisirs de plein air, couronnant de succès la petite reine. Avec l’explosion des ventes de vélos neufs et le recours aux modèles vintage, les vendeurs et réparateurs de cycles changent de braquet en matière de recrutements. On est allé prêter main forte à l’enseigne Cyclable dans un magasin près de Paris.

Contorsionniste n’est pas le talent qu’on aurait pensé associer au vélo, mais c’est pourtant celui dont on doit faire preuve en ce matin ensoleillé. Il faut d’abord se frayer un passage en pédalant parmi les embouteillages pour traverser tout Paris et rejoindre le magasin Cyclable de la Garenne-Colombes, dans la proche banlieue ouest de la capitale. Ensuite, pour accomplir les premières tâches quotidiennes, avant même l’ouverture à 10h, il est nécessaire de se faufiler entre les bicyclettes de toute taille et de tout style rangées un peu partout. « Malgré une surface de 200 m², on est confronté à un problème de place, » explique Didier Haas, le gérant qui a lancé le lieu fin 2017, après avoir décidé de se reconvertir passé 50 ans. Cet ingénieur, ex-cadre chez IBM, est devenu franchisé du réseau de magasins de vélo par amour pour la petite reine. Pour l’heure, après avoir partagé un café dans l’arrière-boutique, il s’attèle à des gestes prosaïques : compacter les cartons qui envahissent la réserve.

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« Il est essentiel de ne pas passer trop de temps à les débiter, donc on apprend vite le maniement du cutter qui permet de découper en morceaux les plus grands cartons. Ceux des marques allemandes, c’est du costaud ! » Attention à ne pas se blesser ni abîmer la marchandise à l’intérieur : je constate que rapidité et dextérité en la matière ne sont pas innées… Le pull parsemé de copeaux et poussière, je change de mission et vais aider les quatre collaborateurs de Didier qui viennent d’arriver : il faut sortir les deux-roues sur le trottoir pour libérer de l’espace en boutique et dans l’atelier. Pas facile de manœuvrer les plus lourds, comme les cargos, avec une benne à l’avant, ou les « long tails » avec un solide porte-bagage à l’arrière pour porter les enfants. On les dispose devant l’entrée et, par précaution, on glisse un long antivol entre les roues. Afin d’attirer l’œil du chaland, un petit nettoyage s’impose sur les modèles exposés qui ont pris la poussière.

Un rangement méticuleux

Ce préalable est, certes, un peu fastidieux mais indispensable pour pouvoir accueillir les clients. En voici justement un qui vient apporter sa monture à réviser. C’est Vincent, trentenaire responsable adjoint du magasin, qui s’en occupe. Il gère aussi les rendez-vous pour les réparations, les stocks et les réapprovisionnements… Également en charge de la mise en place des linéaires, il me montre comment procéder : « Les accessoires les plus vendus sont surtout des casques et des cadenas. Ces derniers sont classés par résistance, et donc par prix. Les plus élevés se positionnent en haut, les moins chers en bas. » Il faut, par ailleurs, penser à étiqueter les autres produits : sacoches, vêtements de pluie, gants, kits de réparation… Les allers-retours avec la réserve sont fréquents. « Je l’organise pour qu’elle soit claire et lisible par tous les membres de l’équipe, afin que chacun puisse trouver tout seul ce qu’il cherche, » précise Vincent. Le moindre espace est optimisé : étagères remplies des deux côtés du couloir, pneus classés en hauteur et un coin dévolu aux « vélos ventouses », comme les appelle Didier. « Ils sont en service après-vente mais il manque une pièce et on les stocke là en attendant, » regrette-t-il car ils sont encombrants.

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Face à l’immense succès du cyclisme, en particulier le « vélotaf » entre domicile et travail, la patience est souvent de mise. Et pas seulement pour les pièces détachées… « Une cliente a reçu sa bicyclette au bout d’un an, se remémore Vincent. Aujourd’hui elle est ravie car elle s’en sert tous les jours pour amener ses enfants à l’école et faire ses courses. Je suis content que la pratique du vélo, notamment à assistance électrique, se démocratise. Moins de 10 % de nos clients s’y connaissent donc mon travail consiste à vulgariser le jargon technique. Je suis là pour conseiller le modèle qui correspond le mieux à l’usage de chaque profil : rouler utilitaire ou loisir, à un rythme tranquille ou sportif. » Vincent, passionné depuis l’adolescence et travaillant dans le secteur depuis plus d’une décennie, fait surtout de la vente, même s’il a été recruté par Didier, voilà quatre ans, comme chef d’atelier : « J’apprécie les deux fonctions mais j’ai un bon relationnel donc je suis meilleur vendeur que mécano. Avec Cyclable, je suis régulièrement des formations pour renouveler les techniques de vente. Les autres collaborateurs que je croise à ces sessions ont tous une affinité avec le produit. C’est plus facile de vendre quelque chose que l’on aime, on y met du cœur ! »

De l’entraide entre collègues

Parfois Vincent donne un coup de main à l’atelier, mais reconnaît qu’il n’a pas la rapidité, la précision ni la polyvalence des mécaniciens qui exercent au quotidien. Comme Baptiste, auto-entrepreneur de 27 ans venu en renfort depuis quelques mois. « C’est à la réparation que je m’amuse le plus, reconnaît-il. J’ai déjà été vendeur, puis j’en ai eu marre de conseiller des gens qui n’ont pas la fibre, qui veulent juste un vélo pour remplacer un scooter ou une voiture à cause des bouchons : il n’y avait pas d’émotion, pas de sourire lors de l’achat d’un modèle à 5 000 euros, tout de même ! » Baptiste, comme beaucoup, a débuté très jeune, en bricolant avant d’en faire un métier pour que s’ajoute au plaisir initial celui de satisfaire les clients, dont les nouveaux convertis… même si certains ne font pas forcément preuve de reconnaissance. Pas toujours évident de transmettre sa flamme et de la concilier avec des impératifs professionnels, a-t-il pu constater. En particulier après le premier confinement : « Face à la demande qui a explosé, c’était trop intense, il fallait travailler très vite pour préparer de nouveaux vélos ou réparer les anciens. » En s’installant en indépendant, il a trouvé un rythme qui lui convient mieux.

Avec Thomas, autre mécano de l’équipe, ils s’affairent face à face, de part et d’autre d’un pied double motorisé : concentrés sur les vélos suspendus à une hauteur réglable grâce aux commandes automatisées, ils ne pâtissent pas d’un environnement trop restreint. « Il m’est arrivé de travailler dans des ateliers très petits, dos à dos avec un collègue et sans lumière naturelle« , se souvient Baptiste. Lui, comme Thomas, possède un certificat de qualification professionnelle (CQP) de technicien cycles. Un diplôme recherché par les recruteurs mais qui n’est pas obligatoire pour exercer. Une variante, plus complète et donc un peu plus longue à obtenir, s’intitule CQP de technicien vendeur cycles. Des formations qui se font en alternance. C’est le cas pour Diane, 35 ans, en contrat de professionnalisation qui vise la première version des deux CQP : « J’ai commencé en septembre à l’institut national du cycle et du motocycle, ou INCM, suite à une réorientation professionnelle. J’avais décroché un master en histoire de l’art à l’école du Louvre puis géré des projets culturels qui s’inscrivaient sur le long terme. Aujourd’hui, j’apprécie la satisfaction immédiate du travail manuel, la technicité et la polyvalence, en intervenant en atelier et boutique. Cela évite le côté répétitif des tâches. Le cambouis ne me rebute pas, même si j’ai tendance à porter des gants. C’est assez physique : on reste debout, il y a beaucoup de manutention et manipulations. »

Un métier qui a du sens

Elle déplie justement le pied d’appoint pour y accrocher une bicyclette toute neuve à monter, et déroule le mode opératoire : « Il est essentiel de procéder par ordre. Chaque personne choisit son process. Moi, j’ai adopté celui que m’a conseillé Baptiste. On doit être systématique sinon on oublie des choses. Je lis d’abord la fiche client qui détaille les éventuels accessoires à ajouter. Je commence par vérifier la pression des pneus. Je me lance ensuite dans les vérifications méthodiques en partant de l’arrière. D’abord le serrage des roues, puis celui de toutes les vis. On utilise, en général, trois clés principales : les numéros 3, 4 et 5. » En un clin d’œil, Diane reconnaît quelle vis correspond à telle clé, et repère ladite clé dans la boîte à outils… Tandis que je galère à les trouver, en essayant plusieurs avant d’identifier, enfin, la bonne ! « Là, il faut une clé Allen, m’indique Diane. Et pour ça, c’est une clé Torx en étoile. » Il faut vite s’habituer pour dépoter. « On a des enjeux de sécurité et de rentabilité« , rappelle-t-elle. Et Didier de renchérir : « Il y a une forme de pression parce qu’il faut être productif et sortir de l’atelier dix vélos par jour. Pour ne pas perdre le fil, il faut de la rigueur car chaque tâche est, en général, simple mais elles sont différentes et se succèdent. De plus, il y a souvent des imprévus ou des interruptions dans l’enchaînement. Si on ne fait pas les choses sur l’instant, on risque de zapper et ça peut être dangereux pour l’utilisateur final. »

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Justement, avant de lui confier sa monture flambant neuve, il reste une dernière étape, celle du test grandeur nature. Ça, c’est dans mes cordes ! J’enfourche donc un superbe vélo à assistance électrique, ou VAE, pour tester freins et vitesses en faisant le tour du pâté de maisons. RAS, tout fonctionne. J’envie l’acheteur de ce confortable deux-roues… Ou peut-être plutôt la propriétaire car, selon Didier, plus de la moitié de la clientèle de Cyclable est constituée de femmes. Néanmoins, la gent féminine ne représente qu’environ 10 % des effectifs, estime-t-il : « La diversité est pourtant positive pour l’esprit d’équipe, lequel est capital en magasin. En effet, on passe son temps à dépendre de ses collègues, quel que soit le poste occupé, et on s’entraide. Ainsi, le samedi, qui est le jour où l’on fait la moitié des ventes de la semaine, il n’y a pas de réparations et les mécanos viennent en renfort des vendeurs. » Le fait d’avoir un week-end décalé, du dimanche au lundi, est un inconvénient pour certains. Didier en a conscience mais c’est un métier qui a du sens, qui est utile et qui donne du plaisir, insiste-t-il : « Quand je convertis au vélo un client qui prenait tout le temps sa voiture, c’est gratifiant, bon pour sa santé et pour la planète. » Des arguments à mettre en avant pour pallier les difficultés de recrutement dans un secteur en manque de main d’œuvre face au boom de la demande…

 

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