Le gouvernement a-t-il appréhendé la réforme prud’homale sous le bon angle ? C’est la question que s’est posée Nathalie Attias, avocate en droit social, candidate au bâtonnat de Paris.
La réponse est assurément négative et pire, les mesures en discussion supposent des moyens dont on n’a pas la moindre idée. Le conseil de prud’hommes a toujours été le “parent pauvre” de la justice. Cette juridiction souffre de son succès : plus de licenciements, plus de contestations. Elle est donc le reflet d’une société malade. Au lieu de penser le problème à sa source, on envisage des mesures irréfléchies qui, pour l’essentiel, nient sa spécificité et vont gravement affecter notre exercice, alors même qu’en l’état les magistrats professionnels sont déjà insuffisants à garantir la collégialité devant la cour d’appel, et que les délais du départage sont souvent très longs. À moins de compter sur la corvéabilité à merci des magistrats dont l’USM (Union syndicale des magistrats) a récemment dénoncé les cas de plus en plus nombreux de souffrance au travail.
Il est donc aisé de s’attaquer aux conseils de prud’hommes mais que dire des cours d’appel, devant lesquelles nous perdons progressivement notre activité plaidante, des délais de procédure souvent tout aussi inacceptables, de la collégialité qui est devenu l’exception alors qu’elle est de droit, du manque de pragmatisme affiché par des magistrats professionnels qui vont se contenter d’une application bête et méchante du droit, au mépris des conséquences économiques, de condamnations souvent aggravées au delà de barèmes jurisprudentiels tenant compte de la taille de l’entreprise ?
Critiquable mais…
Des améliorations sont certes envisageables pour renforcer la sécurité juridique des relations de travail, mais la direction prise par cette réforme est mauvaise. Les mesures envisagées sont caricaturales et éloignées de la réalité du terrain. Si nous avons voulu des conseils de prud’hommes, ce n’est pas pour leur substituer des magistrats professionnels. Ou alors qu’on décide que le modèle économique et social de toutes les juridictions professionnelles est dépassé et doit être banni au profit d’une justice uniforme et impersonnelle. Mais à quel prix ? Quand écoutera-t-on les avocats qui dans leur grande majorité considèrent que la juridiction prud’homale est certes critiquable, mais finalement, plutôt une bonne juridiction.
L’instauration d’une mise en état devant le conseil de prud’hommes, l’augmentation des moyens financiers pour assurer des audiences supplémentaires étaient des pistes moins révolutionnaires mais assurément plus efficaces. Telle n’était pas la volonté du gouvernement et il faut le déplorer.
Quelle réforme ?
La réforme de la juridiction prud’homale qui a été définie sur la base du rapport du président Lacabarats (président de chambre à la Cour de cassation) est, dans son esprit, globalement fondée sur une défiance étonnante à l’égard des conseillers prud’hommes. Ce rapport dressait un bilan accablant : fort taux d’appel à l’encontre des jugements prud’homaux, fort taux d’infirmation totale ou partielle, qualité des jugements contestés, délais de jugement inacceptables, la procédure pouvant aller, devant certains conseils de prud’hommes, jusqu’à 2 ans entre la saisine et le jugement.
Posant le principe que ces dysfonctionnements seraient directement causés par l’incompétence des conseillers prud’hommes, la réforme vise donc à professionnaliser la juridiction, à minimiser le rôle des conseillers et, si ce n’est pas possible, de les former mieux pour que leurs décisions soient de meilleure qualité, ce qui devrait, selon cette logique implacable, limiter les appels et par là, permettre de désengorger les cours d’appel…
Parmi les mesures phares, notons :
– désignation et non plus élections des conseillers prud’hommes, ce qui porte un nouveau coup aux organisations syndicales et permet de supprimer le coût d’une élection ;
– renforcement de la formation et de la déontologie des conseillers prud’homaux avec pour corollaire des procédures disciplinaires. En somme, faire en sorte que les conseillers quittent leur posture syndicale pour adopter celle du juge ;
– création de modes de règlement alternatif des litiges : la médiation et la procédure participative. Les parties pourront donc soit convenir d’une procédure autre que les prud’hommes à condition d’accord unanime (et ensuite se contenter de faire homologuer leur accord) soit demander au conseil de prud’hommes, par le biais d’une convention de procédure participative, de s’engager à rechercher une solution amiable, chacune des parties étant assistée d’un avocat. Notre Ordre devra veiller à notre formation sur ces nouvelles procédures ;
– le bureau de conciliation devient un bureau de conciliation et d’orientation qui décidera, en fonction de l’affaire si la procédure doit suivre la formation normale, la formation restreinte ou le renvoi en départage ;
– en cas d’échec de la conciliation, ce bureau pourra renvoyer l’affaire soit devant une formation normale avec 4 conseillers, soit si le dossier de licenciement est considéré comme simple, ou encore dans les cas d’une demande de résiliation judiciaire, devant une formation restreinte de jugement, composée uniquement d’un conseiller salarié et d’un conseiller employeur (comme l’actuel bureau de conciliation) et qui devra statuer dans un délai de 3 mois. Cela suppose toutefois l’accord des parties mais nul doute que peu de plaideurs accepteront de plaider devant une formation restreinte ;
– la possibilité de renvoyer l’affaire directement devant un juge départiteur dans 3 cas :
soit d’office si le bureau de conciliation et d’orientation le décide en raison de la nature de l’affaire ;
soit si les parties le demandent ; dans ce cas, le bureau de conciliation ne peut le refuser ;
soit en cas de partage de voix du bureau de conciliation sur la demande d’une partie.
– la création d’un statut renforcé de défenseur syndical devant le conseil de prud’hommes et la cour d’appel, soumis à l’obligation de confidentialité et protégé contre le licenciement.
– à ces dispositions, s’ajoute un amendement voté par les députés qui fixe un barème indicatif sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, établi à partir de plusieurs paramètres habituellement retenus par la jurisprudence en fonction notamment de l’âge et de l’ancienneté.
Cette réforme bouleverse donc en profondeur la juridiction et la procédure prud’homale dans un sens qui n’est pas forcément favorable et pourtant, curieusement, seuls les conseillers prud’hommes salariés se sont mis en grève. Pour ces raisons je ne m’explique pas le silence de notre Ordre alors même que les critiques ne manquent pas…
Quels intérêts ?
L’intérêt que pourraient présenter certaines mesures de la réforme de la juridiction prud’homale cèdent vite devant la réalité du terrain et encore une fois, on peut déplorer que les avocats n’aient pas été consultés de manière efficace et pragmatique. On s’aperçoit que les mesures sont au mieux, surabondantes et au pire, plutôt inquiétantes.
Sur le fond, on apprécie le conseil de prud’hommes pour sa spécificité : plaider devant des magistrats du terrain, des employeurs et salariés qui sont confrontés à la réalité de l’entreprise : le challenge des résultats professionnels, la responsabilité de l’employeur à l’égard de ses actes de gestion, la nécessité de résister aux enjeux concurrentiels et j’en passe.
Quoi que l’on en dise, les conseillers prud’hommes sont plutôt sensibles à ces différents indicateurs. Les magistrats professionnels en revanche le sont beaucoup moins ce qui explique pourquoi, malheureusement, les avocats sont de moins en moins entendus. Si on plaide réellement devant le conseil de prud’hommes, on ne le fait plus que “par – brèves – observations” devant le juge départiteur et pire encore devant la cour d’appel !
La procédure orale qui préexistait devant le conseil de prud’hommes disparaîtra progressivement pour devenir une procédure écrite.
Est-ce que nous voulons ? Est-ce conforme à l’intérêt des avocats ? Rien n’est moins sûr.
Difficultés d’application
Nombres de ces mesures sont surabondantes ou resteront lettre morte :
– le bureau de conciliation a précisément pour fonction de concilier les parties et a déjà le pouvoir d’ordonner des mesures urgentes lorsqu’il n’existe pas de contestation sérieuse. Les conseillers sont aujourd’hui trop réticents à prendre des décisions en conciliation, il faut simplement les former ;
– ni les avocats ni les conseillers prud’hommes ne forceront les parties à négocier. Si une négociation est envisageable, les avocats n’hésitent pas, indépendamment de la procédure. Il faut leur faire confiance, ce qui, trop souvent, n’est pas le cas ;
– une procédure trop courte, en l’occurrence, trois mois, est parfois incompatible avec la recherche d’une solution négociée. Les parties sont souvent encore dans l’affect, ce qui les prive du recul nécessaire pour apprécier l’opportunité de concilier ;
– la formation restreinte est une négation de l’essence même du conseil de prud’hommes. Il serait inacceptable d’avoir à plaider au fond devant 2 conseillers, même des dossiers simples. D’expérience, la collégialité est une garantie que l’affaire sera bien entendue, que ce soit devant le conseil de prud’hommes ou devant la cour d’appel. Mais dans tous les cas, elle est de droit ;
– les parties seront rarement d’accord pour plaider devant une formation restreinte et plus encore devant un juge départiteur. On imagine mal que les conseillers prud’hommes, déjà affaiblis par la réforme, laissent les dossiers leur échapper au bénéfice d’un magistrat professionnel ; le juge départiteur est perçu comme une négation de leur rôle, de leur spécificité et in fine, représente l’échec de la mission prud’homale qui est par essence paritaire.
On peut donc sérieusement se poser la question de la pertinence de cette réforme !
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