Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En France, le taux d’emploi des 55-64 ans se situe bien en deçà de la moyenne de l’Union européenne : 56,9 %, contre 62,4 % (1). En effet, parmi les 50-64 ans, 7 seniors sur 10 sont concernés par une période de chômage, et souvent de longue durée (2). Un état de fait qui pose la question des discriminations liées à l’âge, à l’embauche et en entreprise. « La petite histoire que je raconte souvent est symptomatique de ce que vivent énormément de seniors, relate Frédérique Jeske, 58 ans, présidente de l’association Senior4Good et dirigeante du cabinet de conseil Uskoa. J’étais directrice générale de la Ligue contre le cancer, et, en 2022, j’ai voulu connaître autre chose. J’ai donc postulé sur un poste pour lequel je cochais toutes les cases. Le chasseur de tête était emballé, mais l’employeur n’a même pas voulu me voir en raison de mon âge. Cette discrimination a été un choc, j’ai vite compris qu’il est très dur pour un senior de retrouver un poste à la hauteur de sa compétence et de son expérience. »
L’âge des possibles
Pour autant les dernières années de carrière peuvent être l’occasion de se réinventer en capitalisant sur son expérience pour ne pas subir ce déclassement. « Après près de 25 ans à faire le même métier, je voulais connaître une deuxième vie professionnelle, raconte Philippe Houppé, 55 ans, cofondateur de la librairie en ligne Dolpo. Le déclencheur a été de me dire que j’avais besoin d’un autre challenge.« Exit donc l’image des plus de 50 ans qui attendent patiemment la retraite ! En témoignent, entre autres, deux médias lancés cette année et qui comptent bien dépoussiérer l’image desdits seniors. D’une part, « Mesdames », site dédié aux femmes de plus de 45 ans, « un âge des possibles » selon sa fondatrice Maïtena Biraben, ancienne animatrice télé et elle-même quinqua qui regrette que ces dernières soient invisibilisées dans notre société (3). D’autre part, Vieux, magazine piloté par le septuagénaire Antoine de Caunes dont le sous-titre ne manque pas d’humour : « Le magazine qu’on finira tous par lire. »
Plus largement, un nouveau mouvement générationnel émerge, baptisé les « nolds » (abréviation de « never old »). Cette communauté hybride, constituée de personnes se qualifiant de « trop vieilles pour être jeunes et trop jeunes pour être vieilles », remet en question le regard parfois stigmatisant porté sur le vieillissement, aussi bien dans la société que dans le milieu professionnel. À l’origine de ce néologisme se trouvent deux salariées de Danone passionnées par les transformations sociétales : Anne Thevenet-Abitbol, directrice prospective et nouveaux concepts et Charlotte Darsy, directrice vieillissement et santé.
Les vertus de l’expérience
Pour prendre ce nouveau virage, il s’agit ainsi surtout de dépasser les croyances limitantes liées à l’âge. « Je me suis dit, on ne va pas pleurer sur notre sort, mais plutôt donner une image positive de la séniorité pour rappeler aux entreprises à quel point l’expérience a de la valeur, explique Frédérique Jeske. On a moins le réflexe de se réinventer en tant que senior, mais c’est tout à fait faisable. La première chose, c’est vraiment d’aller au-delà des stéréotypes, et de prendre conscience des atouts de notre expérience. Je m’en rends compte aujourd’hui : mon expertise est appréciée et l’employeur qui ne voulait pas de moi hier sera peut-être mon client de demain ! »
Si l’entrepreneuriat en fin de carrière est un défi qui peut donner envie, attention toutefois, ce n’est pas fait pour tout le monde. « Je fais très attention à l’injonction à l’entrepreneuriat, confirme Frédérique Jeske. Il ne faut pas conseiller à tous les seniors qui ne retrouvent pas de boulot de lancer leur entreprise. Je dis souvent aux gens d’arrêter d’accorder trop d’importance au statut. Aujourd’hui, on peut être salarié, puis entrepreneur, puis encore salarié, on peut faire du management de transition grâce à sa longue expérience, du portage salarial, de freelancing en tant qu’expert indépendant… Certains seniors le font même en complément de salaire en début de retraite. »
Quelle que soit la voie choisie, l’enjeu reste le même : revitaliser sa vie professionnelle avant la retraite. « Personnellement, c’est le fait d’aller vers un territoire inconnu et d’avoir des objectifs ambitieux qui m’a motivé pour les dix prochaines années de ma vie professionnelle« , ajoute Philippe Houppé. Pour celles et ceux préférant rester dans le salariat, se réinventer et se lancer de nouveaux défis reste tout à fait possible. « En tant que senior, il vous reste 5, 10, 15 ans à bosser. Et vous avez encore énormément à apporter et à apprendre, affirme Frédérique Jeske. Les entreprises commencent à prendre conscience qu’elles doivent prendre soin de leurs salariés expérimentés. Il ne faut pas hésiter à demander des formations, à s’intéresser à l’IA, à se montrer proactif !«
(1) Dares. (2) D’après une étude de l’Institut français des seniors. (3) La femme invisible, Maïtena Biraben, Grasset.