Emploi

Temps partiel : formalisme et règles de preuve, la Cour de cassation demeure inflexible

Christine Hillig-Poudevigne, associée, et Sophie Lemaître, avocate, du cabinet Moisand Boutin & Associés font le point suite à l’arrêt rendu le 9 janvier dernier (Cass. Soc. n°11-16433).

La règle est connue : en l’absence des mentions requises par l’article L. 3123-14 du Code du travail (dont, notamment, “la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et (…) la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois”), le contrat de travail à temps partiel est présumé être à temps complet, sauf à l’employeur de rapporter la double preuve suivante :
– la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue entre les parties,
– le fait que le salarié ne soit pas dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il doit travailler et qu’il ne doit pas se tenir constamment à la disposition de l’employeur.
Et là commencent les difficultés.

On comprend l’exigence de telles preuves car le salarié à temps partiel doit pouvoir, dans le cadre de son temps “libre”, exercer une autre activité, ce qui suppose qu’il ne se retrouve pas à la disposition de son employeur comme il l’aurait été dans le cadre d’un temps complet. Il doit donc connaître avec certitude son emploi du temps, de façon à lui permettre d’aménager à sa guise son temps en dehors de ses horaires à temps partiel.
Pour autant, au vu de l’espèce rapportée, il est légitime de s’interroger quant à la position rigoriste de la Cour de cassation dans son exigence de double preuve.
Dans la présente affaire, un salarié avait travaillé en qualité de chef-opérateur du son-vidéo pour une chaîne de télévision dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs (l’histoire ne dit pas combien de contrats à durée déterminée, ni durant combien de temps). Ce dernier a saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant, notamment, à la requalification de son contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet.

Une appréciation pragmatique de la cour d’appel…
Dans un arrêt infirmatif, la cour d’appel de Paris a débouté le salarié de ses prétentions.
Après examen, notamment, des contrats de travail et des bulletins de salaire, elle a constaté que la durée du travail effectuée par le salarié avait été variable et constamment inférieure à la durée légale du travail, de sorte que, durant la période concernée, le salarié avait bien travaillé à temps partiel.
La cour a également constaté que les planifications des personnels nécessaires pour garantir la continuité du service de la société étaient généralement réalisées d’une semaine sur l’autre, selon un tableau prévisionnel.
Ainsi, cela permettait aux salariés employés sous contrat à temps partiel de prévoir quel serait leur emploi du temps.
Il était en outre relevé qu’aucune clause d’exclusivité ne les liant à l’entreprise, les salariés pouvaient refuser les contrats qui leur étaient proposés et surtout qu’ils n’étaient nullement obligés de déférer à un appel de l’employeur pour une intervention qui ne figurait pas au planning.
Enfin, la cour d’appel retenait que le salarié n’était pas le seul chef opérateur de son-vidéo auquel la société avait recours à temps partiel.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la cour d’appel concluait que le salarié pouvait donc prévoir à quel rythme il allait travailler.
Cette analyse des documents produits par l’employeur est pertinente et révèle donc que le salarié exerçait véritablement à temps partiel, sans être de fait sous “l’emprise” de l’employeur à temps plein.

… Censurée par la Cour de cassation
Malgré cela, la Cour de cassation censure la décision d’appel au motif que le contrat de travail à temps partiel ne comportant pas toutes les mentions requises par l’article susvisé (certes), la cour d’appel ne pouvait pas écarter la présomption de travail à temps complet, sans avoir constaté que l’employeur rapportait la preuve de la durée du travail exacte, mensuelle ou hebdomadaire, convenue.

Double preuve exigée !
La Cour de cassation maintient donc sa position stricte où la lettre, ou plutôt le défaut de lettre, prévaut sur les faits.
En effet, en l’espèce, la preuve que le salarié travaillait à temps partiel et qu’il était libre d’organiser son planning était rapportée par l’employeur.
Mais encore eut-il fallu démontrer que la durée du travail exacte (qu’elle soit hebdomadaire ou mensuelle) était convenue, autrement dit, rapporter la preuve d’un accord des parties à ce propos.
Pourtant, il nous semble bien que, de cette double preuve, c’est bien la seconde (à savoir : “le fait que le salarié n’était pas dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il ne devait pas se tenir constamment à la disposition de l’employeur”) et donc celle rapportée par l’employeur en l’espèce, qui devrait prévaloir puisque :
– d’une part, elle démontre que le salarié était libre d’organiser son temps de travail et qu’il bénéficiait donc d’un réel temps partiel, sans se tenir constamment à la disposition de l’employeur ;
– d’autre part, à l’évidence, le salarié avait accepté les plannings établis une semaine à l’ avance (il demeurait d’ailleurs libre de les refuser, visiblement sans encourir de sanction).
Cela n’a pas suffi.

Formaliser
Il faut donc également démontrer l’accord exprès du salarié quant à la durée du travail en elle-même. Il convient dès lors, par prudence, dans le cas notamment de contrats à durée déterminée qui ne comporteraient pas toutes les mentions requises par le Code du travail, de faire preuve de formalisme a posteriori, même si cela peut s’avérer difficilement gérable en pratique.
Par exemple, il nous semble que l’employeur pourrait communiquer le projet de planning établi (par semaine ou par mois) suffisamment en avance à chaque salarié concerné, avec mention de la durée totale du travail pour la période visée, projet que le salarié devra accepter en apposant sa signature dessus, outre la date, comme preuve de son accord…
Ce pointillisme n’est pas superflu puisque, dans une autre affaire, la Cour de cassation, poursuivant sa logique, n’a pas hésité à requalifier un contrat à temps partiel en un contrat à temps complet, et ce alors même, que la salariée travaillait également pour le compte d’un autre employeur… à temps plein.
Elle ne craint donc pas de valider le fait qu’une salariée bénéficiait de façon cumulative pour la même période de deux contrats de travail à temps plein (Cass. Soc. du 27 juin 2012 n° 10-28048 Sté Médiapost / Lechar)  !
Attention donc, soyons vigilants dans la rédaction des contrats, mais aussi et surtout durant leur exécution.

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