Sur la seule année 2022, la Suisse a accueilli près de 80 000 nouveaux travailleurs frontaliers et en réunit aujourd’hui près de 450 000. Un peu plus de la moitié d’entre eux sont français. Et pour cause, qu’il s’agisse de travail frontalier ou d’installation d’expatriés, la Suisse, francophone à près de 25 %, est en tête des destinations privilégiées de l’Hexagone, selon le registre des Français établis hors de France. « Le marché du travail en Suisse est un marché assez dynamique, avec un taux de chômage de 2 % selon le gouvernement, et de 3,7 % de la population active au sens du Bureau international du travail (BIT), avance David Talerman, fondateur du site travailler-en-suisse.ch, plateforme de référence de l’emploi et de l’expatriation en Suisse. L’emploi des expatriés et des frontaliers, c’est un besoin majeur pour les entreprises suisses qui peinent souvent à suffisamment recruter localement.« Une situation de quasi plein emploi permanent qui n’empêche donc pas les recruteurs de se tourner très régulièrement vers des profils étrangers. « Il y a eu ces vingt dernières années une libération réglementaire importante, ajoute Frédéric Lablanquie, talent acquisition partner dans l’entreprise de construction suisse Implenia. Quand je suis arrivé de France en 2000, il y avait encore des quotas sur les permis de séjour pour étrangers. Cette situation s’est détendue, et le marché est aujourd’hui tout à fait ouvert aux candidatures étrangères. »
Un marché concurrentiel
Si les opportunités sont nombreuses, la concurrence est importante et le marché suisse peine à recruter sur certains postes et profils malgré son dynamisme. « Beaucoup de mes interlocuteurs helvètes me disent qu’ils ont beaucoup de mal à recruter, confirme David Talerman. Il faut noter que compte tenu de l’évolution démographique à l’horizon 2025, dans certains secteurs d’activité, on aura entre 40 et 50 % de la population active qui partira à la retraite. Les opportunités d’emploi pour les étrangers et les expatriés en sont donc renforcées, mais il ne faut pas penser que ce sera simple, cela reste un marché ultra concurrentiel et très sélectif.«
Comme le rapporte le site Travailler en Suisse, les métiers particulièrement tendus sont les suivants : ouvriers qualifiés, représentants de commerce, cadres et dirigeants d’entreprises, chauffeurs, profils administratifs (assistants administratifs, réceptionnistes…), ingénieurs, profils de spécialistes (notaires, juristes, chefs de projets…), personnels de maison et nettoyeurs, comptables et commissaires aux comptes, et enfin analystes financiers.
D’autres secteurs, comme ceux de l’IT (technologies de l’information) et de la construction sont également particulièrement dynamiques. « Très clairement, le recrutement d’expatriés découle du manque de candidatures suisses, je dirais que c’est le cas dans 80 % de nos recrutements, ajoute Frédéric Lablanquie. Chez Implenia, les profils que l’on recherche sont principalement liés à la gestion de projets et à la conduite de travaux. »
S’imprégner de la culture
Selon le fondateur du site Travailler en Suisse, « si vous abordez le marché suisse comme le marché français, vous réduisez vos chances. En Suisse, on se définit beaucoup par rapport à son rôle dans le collectif et dans la communauté. Les entreprises préféreront souvent attendre et prendre le temps d’un recrutement plus long et plus sélectif ». Même son de cloche du côté de Frédéric Lablanquie, qui gère les recrutements chez Implenia : « La Suisse, c’est une culture définitivement libérale, avec ses avantages et ses inconvénients. Il n’y a pas de tickets-restaurant, de comités d’entreprise, d’APL ou la même couverture sociale qu’en France. Il faut avoir cela à l’esprit pour éviter que cela ne discrédite les premiers échanges avec un candidat qui arriverait sans s’être informé au préalable. »
Aussi, comme l’affirme David Talerman, « quand le peuvent, les entreprises suisses vont souvent préférer recruter localement plutôt que des frontaliers, non pas en elles termes de nationalité, mais sur des profils résidant en Suisse directement. » Là encore, l’acclimatation à la culture suisse et aux habitudes professionnelles locales est scrutée de près. « La capacité d’adaptation, c’est toujours un risque plus ou moins important, confirme Frédéric Lablanquie. Je conseille aux gens de vivre ici, de sortir ici, de dépenser leur argent ici, et petit à petit l’imprégnation culturelle se fait d’elle-même. Ensuite, attention à la distance. On a tendance à dire qu’en Suisse on travaille beaucoup, un temps plein classique, c’est 42 heures par semaine, et on demande de la flexibilité sur certains postes. La distance que doit parcourir un travailleur frontalier matin et soir, peut finir par peser sur le salarié. »
Un bon équilibre de vie
En termes de cadre de vie, la Suisse offre de très belles perspectives. « J’ai été frontalier pendant six ans avant de m’installer à Lausanne et je n’ai jamais regretté mon choix. Ce sont des poncifs, mais c’est tellement agréable à vivre au quotidien. C’est propre, il n’y a pas de bruit, très peu de vols et de déprédations. C’est un environnement sécurisant et idéal pour une vie de famille. Un inconvénient à souligner : l’accès à la propriété qui est très difficile et pour lequel vous devez disposer de 20 % du montant du bien, avant de discuter de tout crédit ou emprunt », rapporte Frédéric Lablanquie. Un confort qui s’accompagne toutefois d’un coût de la vie et du logement particulièrement élevé, mais également d’habitudes de rémunération adaptées : le salaire moyen en Suisse s’élevant à plus de 68 000 euros annuels en 2023, selon l’OCDE. « Pour donner un ordre d’idée du coût de la vie, je dirais qu’en moyenne pour l’équivalent d’un panier de 100 euros en France, vous allez devoir dépenser 160 francs suisses. Sachant qu’un franc suisse vaut aujourd’hui environ 1,05 euro, explique David Talerman. Mais le coût de la vie évolue selon les cantons. Au-delà des coûts, ce que je trouve super, c’est qu’en plus de la qualité de vie, il y a un temps pour tout. Un temps pour le travail et un temps pour le loisir, de manière bien distincte. Un peu comme dans les pays nordiques. »