Est-ce à l’entreprise de se préoccuper du « bonheur » de ses salariés ? Comment améliorer, plutôt, leur bien-être ? L’analyse d’André Perret, expert RH, et de Fabienne Broucaret, fondatrice de My Happy Job, à l’occasion du Salon du travail.
« Bonheur au travail », « bien-être des salariés » : ces expressions reviennent en boucle depuis la diffusion, en 2014, d’un documentaire d’Arte, qui se penche notamment sur l’entreprise libérée et la nouvelle fonction de chief happiness officer (responsable du bonheur au travail) en tant qu’outils rendant les salariés plus épanouis. S’agit-il d’une révolution ou d’une nouvelle étiquette, trop belle pour être vraie ?
Le premier CHO, poste dédié au « bonheur au travail », est apparu aux États-Unis en 2000, chez Google. Aujourd’hui, bien que peu nombreux, les CHO essaiment – chez Zappos à San Francisco, chez Whoohoo au Danemark, chez Kiabi en France… Leur mission : rendre les salariés « heureux ». Mais pourquoi une organisation devrait-elle s’occuper du bonheur de ses collaborateurs ?
Invité à notre conférence sur le sujet organisée lors du 5e Salon du travail et de la mobilité, André Perret, vice-président du Groupe Dever, ne mâche pas ses mots : « parler de ‘bonheur’ au travail, c’est une supercherie. Et nous n’arriverons à rien avec des CHO : le bonheur est quelque chose d’intime, et l’entreprise n’a pas à y interférer, au risque de créer une injonction nocive. Car à demander aux salariés d’être heureux à tout prix, cela crée chez eux une pression délétère ». Selon le spécialiste, qui préfère parler de bien-être, la qualité de vie au travail (QVT) est « liée à l’organisation du travail et au management ».
Plutôt que de miser sur des CHO, André Perret invite les entreprises à « mettre sur la table les facteurs d’organisation et de management, puis à se concerter avec les salariés ; afin que leurs aspirations permettent de faire en sorte qu’ils se sentent mieux ».
Fabienne Broucaret, fondatrice de My Happy Job, fait également la distinction entre « bonheur » et « bien-être », et ajoute que « s’il ne faut absolument pas que cela devienne une injonction, il y a énormément à faire pour améliorer les conditions de travail ».
Le « bonheur » au travail, un « argument marketing » ?
Pourquoi ce buzz actuel autour du « bonheur au travail » ? Fabienne Broucaret explique qu’aujourd’hui, « les jeunes générations sont en quête de sens et d’équilibre vie professionnelle-vie personnelle ». De son côté, André Perret, qui fut DRH pendant 20 ans, « on parlait moins de ce sujet autrefois, mais on s’en occupait quand même, ce n’est pas une découverte ! La différence est que l’on communique davantage sur la QVT… et que c’est devenu un argument marketing, car présenter ses salariés comme épanouis est une façon de ramener des candidats et des clients ».
Selon Fabienne Broucaret, certaines entreprises se mobilisent réellement pour améliorer le bien-être de leurs collaborateurs. « Cela va bien plus loin que le cliché du babyfoot en entreprise et des CHO, qui sont en fait rares en France, face aux RH qui s’occupent déjà de ce sujet », explique la journaliste. Et de donner comme exemples concrets, l’adoption par le groupe Nature et Découvertes du dispositif Microdon, qui permet « d’apporter du sens au travail, et ainsi de mobiliser les salariés » ; ainsi que la mise en place, par Bouygues Construction, d’échauffements avant la prise de poste, afin de prévenir les TMS (troubles musculo-squelettiques) et les accidents du travail.
Fervent défenseur de la fonction RH, André Perret observe également que les DRH « s’occupent déjà largement du bien-être des salariés », et qu’il existe notamment des outils pour « analyser le moral des troupes » (le climat social) à utiliser pour améliorer les conditions de travail, notamment Indice du Bien-Être au Travail (IBET) de Mozart Consulting, qui mesure le « mal-être au travail » (non-disponibilité, non-engagement), le bien-être au travail se comprenant à travers un indice calculé via la somme des taux de mal-être au travail.