Le gouvernement a réformé récemment le contrôle des chômeurs, et prévoit de durcir prochainement les conditions d’accès à l’indemnisation du chômage. Mais est-ce vraiment la solution pour favoriser le retour vers l’emploi et baisser le chômage ? Les analyses croisées d’Anne Fretel, chercheuse à l’IRES et de Gilles Saint-Paul, économiste à l’UMR Paris-Jourdan.
Contrôler davantage les demandeurs d’emploi, renforcer les sanctions, imposer des « offres raisonnables »… est-ce une façon efficace de favoriser le retour à l’emploi ?
Anne Fretel : Tant d’un point quantitatif que qualitatif, ces dispositifs de contrôle ont une efficacité nuancée. Concernant le contrôle des chômeurs et son utilité, tout dépend de l’objectif poursuivi. Est-ce que cela accélère le retour à l’emploi, avec comme idée que si l’on contrôle plus les chômeurs, ils s’activeront plus, et retourneront plus vite à l’emploi ? Et s’ils retournent à l’emploi, y retournent-ils de manière pérenne ou y a-t-il un risque de récurrence ?
En ce qui concerne le retour à l’emploi, on constate qu’il peut y avoir une très légère augmentation du taux, parce que les gens sont « mis sous tension » et vont prendre le premier emploi qu’ils trouvent ; par contre, on constate que l’emploi retrouvé n’est pas en adéquation avec leurs compétences, leurs qualifications, et qu’il s’agit d’un emploi pris faute de mieux.
On se rend donc compte que la stabilité de l’emploi retrouvé n’est pas bonne. Les gens ne se retrouvent pas dans l’emploi qu’ils ont choisi, et préfèrent démissionner au bout d’un moment, ce qui crée de l’instabilité du côté des entreprises, donc un coût de turn over important pour elles, et de la récurrence dans le chômage du côté des salariés.
Gilles Saint-Paul : Le contrôle des chômeurs ne fonctionne pas mieux que la dégressivité des allocations, mais celle-ci a comme inconvénient de réduire l’assurance chômage de ceux qui cherchaient et n’ont pas eu de chance. Les partisans du contrôle ont cela en tête, et s’inspirent du modèle danois de la « flexisécurité » – celui-ci permet aux entreprises de se séparer facilement de leurs salariés, qui en échange bénéficient d’allocations-chômage élevées et d’avantage sociaux importants (retraite, congés payés, etc.). Le manque d’incitation à trouver du travail est résolu ici par le contrôle des chômeurs.
Plusieurs études, notamment en Irlande et au Danemark, semblent indiquer que quand on renforce le contrôle, cela se traduit par une durée du chômage moins élevée pour ces derniers. Au Danemark, par exemple, des chercheurs ont remarqué que lorsqu’une personne reçoit une première sanction, cela double la probabilité de sortie du chômage. Mais en France, où un tel système a été mis en place en 2001 avec le PARE (plan d’aide au retour à l’emploi), les effets ont été peu visibles. Car il me semble difficile de convaincre l’administration de Pôle emploi de réellement suivre les chômeurs et de leur imposer vraiment des sanctions – ce n’est pas tellement dans la culture des travailleurs sociaux.
Les effets du contrôle ne risquent-ils pas d’être parfois contreproductifs ?
GSP : Économiquement, on peut arguer qu’un contrôle renforcé des chômeurs renforcé peut conduire à une mauvaise adéquation des travailleurs à leur emploi. Mais dans le contexte du marché du travail français, mieux vaut avoir un emploi, même si ce n’est pas le bon, quitte à en chercher un autre ensuite.
Un contrôle des chômeurs renforcé ne peut avoir que des effets positifs. Vous avez tout à fait le droit de refuser une offre d’emploi. Votre assurance vous est transmise grâce aux cotisations des autres travailleurs, et il est légitime que Pôle emploi vous incite à revoir parfois vos priorités. En revanche, je ne suis pas certain que cela soit dans l’intérêt de tous, notamment des travailleurs qualifiés.
Cela soulève en fait la question de la philosophie du système : est-ce une assistance où l’on vous donne de l’argent jusqu’à ce que vous retrouviez un travail, quitte à prendre le premier emploi qui se présente… ou une assurance comparable à l’assurance maladie où l’on vous garantit un certain niveau de confort, en vous assurant à la fois contre le chômage mais aussi contre le fait de ne pas trouver un emploi qui vous convient ? Ici, on atteint vite les limites d’un système public qui est le même pour tout le monde. On pourrait imaginer que dans un système privé, certains travailleurs préfèrent avoir une assurance chômage « de qualité supérieure », quitte à cotiser plus, ce qui leur permettrait de refuser plus d’offres. De même que certains ont des mutuelles et cotisent plus pour être mieux couverts.
AF : Si on s’intéresse aux personnes non qualifiées, on se rend compte à travers des évaluations quantitatives, que les mesures de renforcement du contrôle ont un effet inefficace et ont même tendance à alourdir et allonger la période de chômage. Cela s’explique par le fait que ces dispositifs de contrôle conduisent les chômeurs à privilégier, dans les stratégies de recherche d’emploi, la recherche sur des canaux formels : démontrer qu’on a répondu à des offres d’emploi, qu’on a démarché des employeurs, qu’on a envoyé des CV – des démarches d’emploi contrôlables. Mais ces stratégies sur des canaux formels se révèlent en fait inefficaces pour les personnes les moins qualifiées, contrairement aux canaux informels : bouche à oreille, anciens salariés, réseau… Des actions moins traçables. Et le renforcement du contrôle a donc tendance à modifier les canaux de recherche d’emploi, en défaveur des publics les moins qualifiés.
Qualitativement, des études mettent en avant, notamment pour les publics les moins qualifiés, qu’ils comprennent bien l’injonction qui leur est faite, mais qu’ils ont aussi conscience que les canaux formels ne leur permettront pas de trouver l’emploi qu’ils désirent. On se retrouve ainsi avec des populations qui font moins confiance à leurs conseillers, ce qui peut alimenter une logique de non-recours à l’institution.
Reste finalement le risque de ne considérer les chômeurs que comme des « tricheurs » potentiels. Plusieurs études montrent que plus de 90 % des personnes recherchent un travail, et que parmi les 10 % qui sont considérées comme ne recherchant pas de manière active un emploi, celles-ci sont dans des situations d’isolement, ont des problèmes de santé, et la non recherche d’emploi chez elles n’est pas liée à une mauvaise volonté de leur part, mais à une situation sociale difficile.
Comment favoriser un réel retour vers l’emploi ?
AF : Pôle emploi peut renforcer son accompagnement des entreprises elles-mêmes afin de créer des opportunités d’emploi. L’institution peut aussi aider les entreprises (en particulier les TPE / PME) qui ont du mal à recruter, en leur offrant l’appui d’un conseiller PE pour les aider à sélectionner des candidats, à recruter, à penser l’organisation de leurs équipes.
L’idée est aussi d’accompagner davantage les demandeurs d’emploi eux-mêmes, plutôt que de passer par la case sanctions et surveillance. Les entretiens réguliers avec un conseiller sont aujourd’hui des entretiens pour vérifier si le demandeur d’emploi fait ce qui est considéré comme conforme aux attentes (CV envoyés, annonces répondues). Le véritable accompagnement, c’est avoir une stratégie, une réflexion sur le projet de la personne, l’aider à se constituer un réseau sans rechercher d’offres d’emploi en tant que telles, mais aider à rédiger des candidatures spontanées… Il s’agit d’un accompagnement construit sur une dynamique plus longue, qui suppose un temps d’entretiens non négligeable. L’institution a de l’argent pour mettre en place des équipes de contrôle dédiées (avec pour projet de mobiliser 1 000 personnes plutôt que 200 actuellement) : il est donc possible, a priori, de redéployer ces personnels.
GSP : Il n’y a pas beaucoup d’autres solutions que le contrôle des chômeurs : revenir à la dégressivité et baisser le niveau des allocations, ou miser sur la formation – mais les moyens nécessaires pour agir dans ce domaine sont énormes.