Bonus-malus pour les entreprises abusant des contrats courts, conditions d’accès au chômage durcies, dégressivité pour les plus hauts salaires, mais aussi de nouveaux droits pour les chômeurs : le gouvernement a dévoilé ce mardi 18 juin dans les détails la réforme de l’assurance chômage. Des mesures destinées à « aider chacun à retrouver un emploi stable ».
Ce mardi, à l’Hôtel de Matignon, Édouard Philippe et Muriel Pénicaud ont présenté un vaste chantier destiné à transformer à la fois l’assurance chômage et l’accompagnement des chômeurs. Objectifs du gouvernement : réaliser 3,4 milliards d’euros d’économies entre 2019 et 2021, mais aussi « accélérer le retour au plein emploi », avec notamment un taux de chômage réduit à 7 % d’ici 2020.
Un bonus-malus sur les CDD
« Notre idée est de transformer en profondeur le marché du travail, pour l’emploi, contre la précarité. D’abord, en réformant l’assurance chômage, avec de nouvelles règles et en responsabilisant chacun, les entreprises en premier lieu », explique Muriel Pénicaud. La ministre du Travail a ainsi confirmé la mise en place d’un bonus-malus pour les entreprises qui ont trop souvent recours à des contrats courts. « Certaines en ont fait un mode de gestion RH, au détriment des salariés et de la collectivité : les CDD et l’intérim représentent un déficit de près de 9 milliards d’euros pour l’assurance chômage », précise-t-elle.
La mesure, dont l’application est prévue pour le 1er janvier 2020, concernera les entreprises de plus de 11 salariés, dans un premier temps dans 7 domaines qui représentent à eux seuls 34 % des ruptures de contrat de travail : la fabrication de denrées alimentaires, l’hébergement-restauration, la production et distribution d’eau-assainissement, les transports et l’entreposage, la fabrication de produits en caoutchouc et en plastique, le travail du bois et l’imprimerie, et des activités « spécialisées, scientifiques et techniques ». Dans ces secteurs, les entreprises emploient, en moyenne, deux personnes en contrat stable pour plus de trois personnes en contrat précaire, soit trois CDD pour deux CDI.
Concrètement, plus le nombre de salariés qui s’inscrivent à Pôle emploi après avoir travaillé pour une entreprise sera important par rapport à son effectif, plus cette dernière paiera de cotisations patronales à l’assurance chômage. « À l’inverse, plus elle fera d’efforts pour réduire ce nombre, moins elle paiera de cotisations », explique Muriel Pénicaud. « Ainsi, les employeurs seront fortement incités à proposer davantage de CDI et à rallonger la durée des CDD », ajoute-t-elle.
À noter qu’en 2020, les CDD d’usage (CDDU) feront l’objet d’une taxation forfaitaire de 10 euros, pour pousser les organisations qui en abusent à « proposer des contrats d’une semaine ou d’un mois plutôt que de quelques heures chaque jour ».
« À travail égal, allocation égale «
Le gouvernement prévoit aussi de « transformer les règles d’indemnisation », afin d’inciter les demandeurs d’emploi eux-mêmes à « retourner vers un emploi stable ». Selon Muriel Pénicaud, il ne devrait ainsi plus être possible de « gagner davantage au chômage qu’en travaillant, comme c’est le cas actuellement pour plusieurs centaines de milliers de personnes ».
Les règles d’indemnisation seront revues de façon à ce qu’il ne soit plus possible d’avoir une allocation chômage qui soit supérieure à la moyenne des revenus du travail. D’ici le 1er avril 2020, elles seront calculées sur le revenu mensuel moyen du travail, et non plus sur les seuls jours travaillés. « Elles obéiront ainsi à un principe simple, clair et équitable : à travail égal, allocation égale ». Si elles ne pourront plus dépasser le montant du salaire net mensuel moyen, les indemnités ne pourront en revanche jamais être inférieures à 65 % du salaire net mensuel moyen.
Un accès à l’assurance chômage à partir de 6 mois de travail sur les 24 derniers mois
Au 1er novembre 2019, pour ouvrir des droits à l’assurance chômage, il faudra aussi travailler davantage. « Que l’on soit salarié ou demandeur d’emploi en situation de cumul emploi-chômage, il faudra ainsi demain avoir travaillé 6 mois sur les 24 derniers mois pour ouvrir un nouveau droit à l’assurance chômage », note Muriel Pénicaud. Actuellement, pour accéder à l’assurance chômage, il faut avoir travaillé au minimum 4 mois sur les 28 derniers mois.
La dégressivité pour les plus hauts salaires
Le gouvernement a aussi confirmé la mise en place, d’ici avril 2019, d’une dégressivité de l’allocation chômage pour les plus hauts salaires. « Les modalités d’indemnisation tiendront désormais compte du niveau de revenu. Les salariés qui avaient un revenu du travail supérieur à 4500 euros bruts par mois verront leur indemnisation réduite, au début du 7ème mois d’indemnisation, de 30 % – avec un plancher fixé à 2261 euros nets, sous lequel l’allocation ne pourra jamais baisser », explique la ministre du Travail. À noter que les travailleurs âgés de 57 ans ou plus ne seront pas concernés par cette mesure.
Des droits pour les salariés démissionnaires et les indépendants
La réforme de l’assurance chômage ouvre aussi de nouveaux droits aux travailleurs – à commencer par les salariés démissionnaires. Au 1er novembre 2019, ceux-ci auront ainsi accès aux mêmes indemnisations que les autres demandeurs d’emploi… mais à condition d’avoir au moins 5 ans d’ancienneté dans leur entreprise, et de l’avoir quittée pour « réaliser un projet professionnel ». Plus généralement, tous les salariés démissionnaires bénéficieront gratuitement d’un « conseil en évolution professionnelle » (CEP), à partir du 1er janvier 2020.
De leur côté, les travailleurs indépendants auront désormais droit à l’assurance chômage, sans cotisation supplémentaire. L’indemnisation sera de 800 euros par mois pendant 6 mois. L’activité professionnelle du freelance devra avoir généré un revenu minimum de 10 000 euros par an sur les deux dernières années, avant liquidation judiciaire.
Un accompagnement et des formations sur-mesure
Le gouvernement prévoit également de « repenser » l’accompagnement des demandeurs d’emploi pour « mieux aider chacun à retrouver un emploi durable et choisi ». La nouvelle convention tripartite de Pôle emploi en cours de finalisation, permettra ainsi de « revoir en profondeur l’offre de services » pour les chômeurs, et de développer « un accompagnement plus rapide, plus efficace et plus personnalisé ».
Au 1er janvier 2020, tous les demandeurs d’emploi qui ont reçu une « proposition d’emploi stable », mais qui doivent préalablement mettre à niveau leurs compétences, pourront bénéficier d’une « formation sur-mesure », financée par le PIC (plan d’investissement dans les compétences) et assurée par Pôle emploi. Tous les demandeurs d’emploi qui le souhaitent auront aussi droit, dans les 4 premières semaines suivant leur inscription, à 2 demi-journées « d’accompagnement intensif » et personnalisé avec des conseillers.
Les demandeurs d’emploi en situation de cumul ou d’alternance prolongés entre emploi et chômage (travailleurs précaires) bénéficieront également d’un « accompagnement dédié ». Objectif : leur permettre de sortir de la précarité en trouvant un emploi durable. Selon Muriel Pénicaud, « cet accompagnement fera l’objet d’une prestation particulière, que Pôle emploi confiera à des opérateurs privés. » La formation sera « adaptée à la situation » des travailleurs précaires, notamment avec des horaires le soir et le week-end, « puisque les personnes concernées sont en emploi. »
Enfin, les chômeurs pourront bénéficier, selon les territoires et les bassins d’emploi, de « nouvelles aides concrètes » pour répondre à des offres d’emploi – par exemple pour la garde d’enfants ou la mobilité. Afin de mettre en place cette nouvelle offre de services dans les 800 agences de Pôle emploi, plus de 1 000 nouveaux agents seront recrutés d’ici 2022, pour 4 000 mobilisés au total.
« Une réforme difficile, mais importante »
« Cette réforme sera difficile, mais importante. Le statu quo n’est pas acceptable, nous ne pouvons pas nous résigner, car le retour à l’emploi est la clé contre la pauvreté et la précarité », affirme Muriel Pénicaud. « C’est avec des salariés et des demandeurs d’emploi mieux accompagnés, et des entreprises responsabilisées, que la France gagnera la bataille des compétences et de l’emploi, et que nous vaincrons le chômage de masse qui ronge notre société depuis plus de 30 ans », conclut-elle. Côté calendrier, le texte de la réforme devrait être publié, promet Edouard Philippe, d’ici la fin de l’été – après « diverses consultations ».