Pendant le confinement, de nombreuses entreprises ont été contraintes de recourir au chômage partiel. Ce dispositif est-il efficace face à la crise actuelle, qui devrait continuer malgré le déconfinement ? Empêchera-t-il vraiment les licenciements ? Que deviendra ce système après juin ? L’analyse de Nadine Levratto, économiste et directrice de recherche au CNRS.
Pourquoi n’a-t-on guère utilisé le chômage partiel en France avant le coronavirus ?
L’activité partielle a été mise en place pour répondre à des situations de crise un peu exceptionnelles, qui peuvent apparaître au niveau d’entreprises qui connaissent soit un choc sectoriel, soit une période difficile. Elle a donc vocation à servir d’amortisseur à un niveau très micro-local, de manière ponctuelle.
Le chômage partiel a été utilisé dans des proportions plus importantes lors de la crise financière de 2008-2009, avec des différences par pays, notamment entre l’Allemagne et la France. Avec d’un côté l’Allemagne qui a eu un recours très important à ce système, notamment pour sauver ou maintenir les emplois ou dans l’industrie, et la France qui en a fait un usage très parcimonieux.
Malgré les avantages du dispositif, les entreprises françaises l’ont peu utilisé lors de la crise de 2008, car elles n’ont pas fait le choix de l’investissement humain. Faute d’incitations suffisantes de la part du gouvernement, mais aussi parce que c’était l’occasion pour certaines de mener des réorganisations de leurs périmètres, les entreprises ont préféré dégraisser massivement.
Outre-Rhin, les organisations allemandes ont fait un tout autre choix. Elles ont utilisé ce dispositif, préservé l’emploi, et ont profité de la crise pour former leurs salariés, tout particulièrement dans l’industrie, en attendant des jours meilleurs. Un pari gagnant car lors du redémarrage de l’économie, l’Allemagne a gagné des parts de marché.
En France, les organisations patronales ont finalement compris que les dégraissages massifs ont débouché à moyen terme sur une perte de savoir-faire qui a pénalisé la reprise. Les entreprises ont également pris conscience de l’intérêt de maintenir les compétences dans l’entreprise, même en période de crise. Ce qui explique la généralisation du chômage partiel en mars dernier, dans le cadre d’un choc majeur.
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Quels sont les avantages du chômage partiel, notamment face à une crise telle que celle du coronavirus ?
Le chômage partiel est un amortisseur social : il a vocation à ralentir la chute d’activités liée à une crise massive telle que celle que nous connaissons actuellement. Et le fait de maintenir les personnes en emploi va avoir un effet à court terme visible sur les niveaux de revenus ; dans la mesure où les entreprises continuent de verser les salaires avec une compensation de 84 % par l’État. Les niveaux de consommation peuvent ainsi être maintenus. Bien sûr aujourd’hui la consommation est très ralentie, mais cette situation s’explique surtout par la fermeture des commerces et de la plupart des services, et les choses devraient changer avec leur réouverture, amorcée le 11 mai dernier.
Le deuxième avantage du chômage partiel, c’est qu’il permet aux entreprises de conserver les compétences en interne, dans la mesure où elles peuvent garder leur salariés. Elles vont pouvoir, avec la reprise, remobiliser immédiatement leur main d’œuvre, sans avoir besoin d’embaucher de nouveau, et donc de perdre du temps à retrouver des salariés.
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Le dispositif sera considérablement réduit à partir de juin. Pourquoi devrait-il rester circonscrit à des périodes exceptionnelles ?
Le chômage partiel n’a pas vocation à être prolongé de manière pérenne. C’est avant tout aux entreprises de payer les salaires de leurs salariés, et non à l’État. De même que les entreprises paient le coût du capital, elle doivent assumer le coût du travail, sachant qu’elles sont déjà très fortement aidées, notamment par le système du crédit d’impôt compétitivité emploi et les exonérations de cotisations sociales patronales qui vont avec.
Le chômage partiel est là pour aider les entreprises en période de crise, en situation de choc, mais en aucune façon, il ne doit venir suppléer l’incapacité ou la non volonté des entreprises de rémunérer leurs travailleurs.
Mais comment faire si la crise dure longtemps ?
L’utilisation du régime de l’activité partielle est décidée par l’État. C’est à lui de déterminer quelle sera la période pendant laquelle il devra s’appliquer, et dans quelles conditions. Si la crise devait durer, il faudrait évidemment prolonger le chômage partiel. Mais si la reprise est réelle, il n’y a pas de raison pour que cette perfusion majeure perdure.
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Y a-t-il des limites à l’activité partielle ? Empêchera-t-elle vraiment les licenciements à partir du 1er juin ?
Des économistes comme Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo ont tendance à considérer que ce système est trop généreux, et qu’en l’état, il peut considérablement freiner la reprise du travail. Tout dépendra de la façon dont elle sera mise en œuvre ces prochaines semaines.
Le gouvernement devrait normalement organiser une sortie de l’activité partielle en biseau, en douceur, et dans ces conditions, l’État est donc tout à fait dans son droit de continuer à aider ainsi les entreprises. Surtout si l’on considère que sa mission est d’amortir le choc économique et social. La question reste : en contrepartie de quoi ?
Évidemment, si dès que le régime activité partielle s’atténue, les entreprises en profitent pour licencier, alors même qu’elles auront été énormément soutenues, cela risque de coincer un peu. Même si des licenciements économiques semblent inévitables dans le cas d’une réduction importante et trop précipitée de la prise en charge du chômage partiel, il faudra clairement se poser cette question des garanties que devront donner les entreprises aidées jusque là. En contrepartie du chômage partiel, les entreprises qui en sortiront ne devraient pas pouvoir licencier.