Une semaine après l’entrée en vigueur d’un décret qui a réduit considérablement la liste des pathologies éligibles au dispositif d’activité partielle, de nombreuses personnes considérées jusqu’à récemment comme “vulnérables” demandent au gouvernement de revenir en arrière.
“Monsieur le ministre de la Santé, vous nous avez toujours protégés face au Covid-19 et nous vous en remercions. Cependant, le gouvernement prend un gros risque en décidant de renvoyer les personnes vulnérables au travail. Si elles étaient vulnérables au printemps, elles le sont toujours aujourd’hui en plein rebond de l’épidémie” : ainsi débute la pétition lancée la semaine dernière par des associations de malades et un collectif créé sur Facebook, baptisé “Vulnérables sacrifiés”.
Depuis la parution le 30 août d’un décret réduisant la liste des pathologies pouvant continuer à bénéficier du chômage partiel, des milliers de personnes vulnérables, ainsi que leurs proches (qui bénéficiaient jusqu’ici d’un “certificat d’isolement”), sont censées retourner au travail.
“Les personnes vulnérables sont en danger”
“Ce décret est passé un dimanche soir, par surprise. Ce qui ne leur a pas laissé le temps de se retourner, pour consulter des professionnels de santé et réfléchir à des mesures à appliquer dans leur environnement professionnel. Les médecins du travail ont reçu des consignes de ne pas leur délivrer d’arrêts maladies. Quand leurs proches n’ont aucune solution pour échapper au retour au bureau. Résultat, elles sont dans une réelle détresse”, observe Jessica Scemama, co-fondatrice du collectif “Vulnérables sacrifiés”.
Elle ne cache pas son incompréhension face au décalage entre le contexte sanitaire et la décision du gouvernement : “celui-ci s’appuie sur un avis du HCSP (Haut Conseil de la santé publique) qui considère que le risque d’être exposé au SARS-CoV-2 n’est pas supérieur en milieu professionnel que le risque encouru en population générale et qu’il peut être contrôlé par une application stricte des mesures barrières’. Mais cet avis date du 23 juillet, quand le virus était à la baisse. Or, depuis, le nombre de nouveaux cas a été multiplié par 10, plus de 30 écoles ont déjà refermé, et une seconde vague est clairement en train de se former”.
Alors qu’en mars, Emmanuel Macron indiquait qu’il mobiliserait “tous les moyens financiers nécessaires” pour protéger les personnes vulnérables, nombre d’entre elles se sentent aujourd’hui abandonnées. Stéphanie (*), infirmière en laboratoire, habite dans une “zone rouge” et souffre de la mucoviscidose. Confinée chez elle depuis bientôt 6 mois, elle tente tant bien que mal, depuis une semaine, d’obtenir un rendez-vous avec la médecine du travail. Mère d’un bébé de 17 mois, elle a “remis tout doucement” ce dernier en crèche. “Jusqu’à ce qu’ils me préviennent qu’il était entré en contact direct avec un enfant testé positif. Désormais, je suis pétrifiée et sans solution, l’arrêt maladie n’étant pas tenable financièrement, et mon travail n’apportant pas de conditions de sécurité suffisantes. C’est comme si on nous jetait dans la gueule du loup”, ajoute-t-elle.
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“Le télétravail est à privilégier”
Dans leur pétition, qui a déjà recueilli 19 000 signatures, les “Vulnérables sacrifiés” demandent au gouvernement le report de la date de fin de validité des certificats d’isolement, au moins jusqu’à fin 2020. “Ce décret doit être abrogé, ou simplement modifié pour que les pathologies sur liste avant le 30 août le redeviennent, et que les conjoints puissent bénéficier de l’activité partielle, ou puissent rester en télétravail si ils le peuvent”, indique Jessica Scemama.
Pour justifier sa décision, le gouvernement invoque le risque de “désinsertion professionnelle” pouvant “s’avérer élevé” après plusieurs mois sans activité professionnelle. “Pour une personne vulnérable, entre être réinsérée et mourir, ou entre l’argent et la santé, le choix est vite fait”, note Jessica Scemama.
En réaction, le ministère du Travail explique que le télétravail reste “à privilégier”. Et que lorsque ce système n’est pas possible, “le travail présentiel doit être assorti de mesures de protection complémentaires dans des conditions de sécurité renforcée”. À savoir la mise à disposition d’un masque chirurgical par l’employeur, et “l’aménagement du poste de travail” (bureau individuel dédié, ou écrans de protection en open-space). Ces mesures permettant de protéger suffisamment les personnes vulnérables ou leurs proches du Covid-19.
“S’il y a un risque, l’accès à l’activité partielle reste possible”
“Les premiers décrets qui ont ouvert les arrêts de travail ont été pris très tôt, quand nous avions une connaissance très faible du virus. Aujourd’hui, nous avons pris du recul par rapport aux pathologies. De nombreuses études nous ont appris que les personnes qui ont une maladie stabilisée risquent moins de contacter une forme sévère du Covid-19”, ajoute de son côté le ministère de la Santé.
Il précise avoir “laissé la possibilité aux personnes qui ne sont plus dans la liste d’obtenir, sur avis médical, un certificat portant la mention vulnérable”, et que “si l’état de santé d’un patient fait dire au médecin qu’il y a un risque, alors cette personne pourra avoir accès à l’activité partielle”.
En outre, conclut un porte-parole, “le médecin demeure compétent pour évaluer si l’état de santé de la personne est compatible avec la poursuite de son activité professionnelle”. Ainsi, s’il l’estime nécessaire, “il peut prescrire un arrêt de travail”.
(*) Prénom modifié pour préserver l’anonymat de la personne citée.