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CDD d’usage : comment changer la donne ?

Depuis le 1er janvier, tout employeur doit s’acquitter d’une taxe forfaitaire de 10 euros pour chaque contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) conclu. Mais est-ce une bonne solution pour freiner le recours à ces contrats souvent très courts, que certaines entreprises affectionnent tout particulièrement ? L’analyse de Bruno Ducoudré, du département “analyse et prévision” de l’OFCE, et de Xavier Timbeau, directeur de l’organisme.

 

Quels sont les avantages et les inconvénients des CDD d’usage ?

Bruno Ducoudré : Le CDDU est un contrat de travail à durée limitée dont l’utilisation est réservée à certains secteurs d’activités (réparation navale, hôtellerie-restauration, centres de loisirs et de vacances, BTP, etc.). Pour les entreprises concernées, il s’agit d’un instrument de flexibilité. Cet outil permet en effet de répondre d’une manière souple à une activité économique volatile et incertaine, puisque ce contrat peut être renouvelé de façon quasi illimitée, sans délai de carence ni prime de précarité.

En revanche, les CDDU présentent, pour les salariés, tous les inconvénients de la souplesse : peu protégés, ils enchaînent les contrats sans visibilité à long terme, ce qui signifie des problèmes d’accès aux crédits et aux logements, et de fortes implications sur leurs choix de vie.

 

Xavier Timbeau : En 2003, le régime juridique des CDDU a été assoupli, ce qui a conduit à une très grande utilisation de ces contrats, au point que l’on peut se demander si nous ne sommes pas sortis du champ des usages spécifiques. Selon l’Igas, plus de 3,7 millions de CDDU sont en moyenne signés chaque année. Cette même étude indique que des entreprises utilisent ce type de contrat alors qu’il n’est pas permis par leurs conventions collectives, ou pour des missions non éligibles au dispositif (par exemple, pour un poste de comptable, qui requiert la présence de quelqu’un toute l’année). En outre, les abus de certains employeurs peuvent conduire à une forme de financement indirect par l’assurance chômage, qui verse une sorte de complément de salaire entre des contrats de quelques jours qui s’enchaînent.

Enfin, il est possible d’adresser aux tenants du CDDU une critique qui contredit l’avantage de la flexibilité : celle-ci induit en effet une relation où l’employeur n’est nullement incité à prendre en compte sa relation avec le salarié. Il s’intéresse moins à sa fidélisation et à sa formation, ce qui se traduit paradoxalement par une implication et une productivité moindre du travailleur. Pourtant,  des études montrent qu’il est possible de collaborer, même dans la restauration, avec des employés embauchés à long terme, sans que les résultats économiques soient différents, mais avec une relation de travail plus suivie.

 

Les CDDU font désormais l’objet d’une taxe forfaitaire de 10 euros : est-ce suffisant pour les freiner ?

XT : Cette taxe n’est pas suffisamment élevée, et n’est pas susceptible d’inciter les employeurs à changer leurs pratiques. Au contraire, ce genre de système pourrait les déculpabiliser, car l’on donne ainsi une valeur à l’inconvénient que représente le CDDU : cela revient à dire “j’ai payé mon dû pour utiliser un contrat d’usage, ce qui m’autorise à en abuser”. Compte tenu de son montant, qui n’est pas non plus de nature à financer le coût potentiel pour l’assurance chômage, l’on peut donc s’interroger si cela permettra vraiment de freiner le recours aux CDDU. Reste que même en augmentant cette taxe, les employeurs n’auront de toute façon guère de difficultés à s’adapter pour en limiter les effets…

 

BD : Une telle taxe forfaitaire a pour avantage de freiner le recours aux contrats très courts, car elle incite à allonger leur durée, mais l’on ne règle pas tout avec des incitations financières, qui sont soit insuffisantes, soit perçues comme une punition par les entreprises.

 

Les CDDU doivent ils être davantage régulés ? Ou faudrait-il imaginer autre chose ?

XT : L’alternative serait de ne pas chercher à tarifer le surcoût du CDDU, mais de réguler son champ d’utilisation en limitant strictement son usage aux secteurs spécifiés à l’origine. Cette régularisation se ferait par l’interdiction, et non par l’incitation financière. Il faudrait donc revenir à l’interprétation stricte qui prévalait avant les années 2000, comme le préconise d’ailleurs l’Igas.

 

BD : Les CDDU sont déjà réglementés : sur le papier, l’on ne peut pas y recourir n’importe comment. Mais pour que le droit du travail soit appliqué, il faut un minimum de contrôle. Or, l’inspection du travail a pâti d’une baisse de ses effectifs. Pour faire appliquer la réglementation existante, il faudrait donc donner à l’administration davantage de moyens. À partir du moment où des entreprises ont besoin d’une certaine flexibilité en raison de leur activité, l’existence même du CDDU se justifie, mais encore faut-il que cet outil soit suffisamment encadré pour éviter les dérives.

Une autre piste, préconisée par nos confrères Eric Heyer et Bruno Coquet, consisterait à développer à la place le CDI intérimaire, qui permet de mettre un travailleur à la disposition de plusieurs entreprises, à travers un contrat à durée indéterminée. Avec ce système, ce sont les employeurs qui prendraient en charge les coûts de la flexibilité, quitte à la répercuter sur leurs prix de vente. Le CDI intérimaire existe déjà, mais il reste très peu utilisé.
 
 

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