Le programme de mobilité des étudiants européens Erasmus est en danger. Les inégalités et les conséquences sur l’ouverture, l’épanouissement, les connaissances des futurs jeunes diplômés risquent d’être lourdes.
Par Michel Guilmault, directeur des relations internationales de l’ESC Chambéry Savoie.
En pleine célébration des 25 ans d’Erasmus, symbolique de toute une génération, et à la veille de l’implémentation d’une nouvelle phase du programme joliment baptisé “Erasmus pour tous”, la menace de coupes budgétaires soudaines et imminentes tombe comme un couperet et déjoue la logique européenne de l’Enseignement supérieur.
Les étudiants seront les premiers touchés par le recul de cette avancée communautaire qu’on n’ose imaginer rétrocéder. “Vivre l’international au quotidien” : cette devise exploitée par pléthore d’établissements d’enseignement supérieur perdra alors de son sens :
• Terminé d’entendre nos jeunes Français s’appliquer à faciliter la vie pratique de nos nouveaux entrants européens au détour d’un couloir de la fac ou en cœur de ville ?
• Fini les répétitions de présentation “PowerPoint in English” de nos associations étudiantes à l’occasion de nos Journées d’Accueil ?
• Au placard les parcours en anglais dans nos cursus qui optimisent la qualité, la diversité, les échanges, le classement, formalisent l’approche interculturelle et préparent à la future mobilité ?
La fin des acquis
Outre le fléchage d’un futur système d’accès à la mobilité pour un public de privilégiés, outre le retour à l’exception et à la limitation de la mobilité, c’est un pan entier d’avancement et d’acquis qui se désintégrera dans nos institutions : accords de partenariat simplifiés et limpides, création d’outils de transparence aux fins de la reconnaissance du diplôme (nos fameux ECTS [le système européen de transfert de crédits], notre si bien pensé “Supplément au Diplôme”…).
Les destinations hors-Europe se verront de facto hautement favorisées (un séjour d’études ou de stage en Amérique Latine sans financement de mobilité requiert déjà un budget moins élevé qu’une même expérience en Espagne doté d’un financement Erasmus…). Nos politiques communautaires souhaitent-elles former des cadres dirigeants plus aptes à mesurer d’autres marchés que le leur ?
Nous assisterons à une focalisation de nos plus-values locales et régionales. Le nec plus extra ne consistera plus à connaître et à maîtriser le marché global mais à prioriser ingénieusement son propre territoire au détriment des autres.
Par manque d’aide financière, nous ferons revivre à nos jeunes le syndrome du “franchissement de la frontière” face à l’appréhension de la première mobilité, celle qui génère l’envie d’autres mobilités puis incite à une carrière à caractère international.
Mercantilisme
D’un point de vue institutionnel, l’octroi aujourd’hui en vigueur de l’exemption des frais de scolarité dans le pays d’accueil – via la Charte Erasmus – redeviendra opaque et source de négociations. Les stratégies qui en découleront restent fictives mais laisseront indéniablement place à un partenariat de mercantilisme, bien éloigné de nos rituels du moment.
Nos enseignants se verront également handicapés dans leurs projets de publication de par leur manque de contact avec des homologues européens avec qui l’échange et la collaboration enrichit fortement l’approche et la dimension d’une dynamique de recherche.
Quid enfin de nos recruteurs qui préconisent tant l’apport des “soft skills”, ces compétences humaines et relationnelles (sens de la communication, flexibilité, adaptabilité, sens du collectif) que le futur recruté développe non pas sur les bancs d’un amphi mais à travers une expérience d’études ou de stage Erasmus ?
Quand on parle de désintégration des acquis, le mot n’est pas trop fort.