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Gagner moins, travailler plus, mais garder son emploi : tout savoir sur l’APC

Lors de son allocution télévisée, dimanche 14 juin, Emmanuel Macron a promis qu’il ferait “tout pour éviter au maximum les licenciements”. Notamment en lançant des négociations avec les partenaires sociaux. Une allusion, sans doute, à l’accord de performance collective, prévu depuis les ordonnances de 2017, qui ont réformé le Code du Travail. Mode d’emploi de ce dispositif.

“Il nous faut tout faire pour éviter au maximum les licenciements. C’est pourquoi avec les partenaires sociaux, nous avons lancé une négociation pour que, dans toutes les entreprises, nous arrivions à préserver le plus d’emplois possible malgré les baisses d’activité”, a lancé Emmanuel Macron, dimanche 14 juin, lors de sa dernière allocution télévisée, dédiée à la dernière étape du déconfinement.

Le gouvernement prévoit-il un projet de loi pour interdire ou restreindre les licenciements ? Une conditionnalité des aides aux entreprises en matière de chômage partiel ? La réponse pourrait être tout autre et concerner l’APC, ou accord de performance collective.

Que permet l’APC ?

Comme nous l’expliquait Timothé Lefebvre, avocat au barreau de Paris, la semaine dernière, l’employeur peut recourir à l’APC en cas de crise économique : “Cet accord, prévu par l’article L 22-54-2 du Code du travail, peut aménager la durée du travail, mais aussi la rémunération, afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l’emploi. L’APC est signé par l’employeur et les délégués syndicaux (sans que les représentants du personnel et le CSE aient besoin d’être consultés).”

Le dispositif d’accord de performance collective date de 2017 via les ordonnances réformant le Code du travail de 2017, au tout début de quinquennat ; il remplaçait alors les “accords de maintien de l’emploi” ou “de préservation ou de développement de l’emploi”, ainsi que les “accords de mobilité”.

Concrètement, l’APC stipule donc qu’un employeur, en accord avec un ou plusieurs syndicats ou salariés (si l’entreprise est trop petite), peut aménager le temps de travail, la mobilité des salariés, ou leur niveau de rémunération, dans l’objectif de “préserver” des emplois, ou d’en “développer”. À défaut de précisions, l’accord est valable 5 ans. En cas de refus, le salarié est licencié.

“Dès lors que le motif est économique, la liberté est assez contrainte. Si un APC est signé et qu’il prévoit la baisse de rémunération des salariés, ceux-ci se voient proposer un avenant à leur contrat de travail. Ils sont libres de le refuser, mais s’ils le font, ils peuvent être licenciés”, explique Me Timothé Lefebvre.

Les salaires prioritairement concernés ?

Jusqu’à présent, la majorité des 300 accords de performance collective signés concernait le temps de travail. Mais avec la crise du Covid-19, ils pourraient  davantage porter sur les salaires, comme l’a suggéré dimanche 14 juin Muriel Pénicaud sur LCI : “Il faut se serrer les coudes dans cette période. Pour cela, on peut aussi négocier des accords de performance collective. Cette mesure permet de se dire ‘plutôt qu’il y en ait 20% qui perdent leur emploi, on va pendant quelque temps baisser le temps de travail, donc la rémunération’”.

Récemment, Derichebourg aéronautics, un sous-traitant d’Airbus, a annoncé qu’il allait signer, avec les syndicats, un APC pour pérenniser les 1 700 emplois de l’entreprise. Le document, dévoilé par La Tribune, ne prévoit aucun licenciement économique jusqu’à la fin de l’année 2020, et indique  qu’une “renégociation” sera ouverte “dès que l’entreprise retrouvera une profitabilité usuelle de 4%”.

“Comme prévu, les indemnités journalières repas transport vont être supprimées pour être compenser en partie par des tickets restaurants à compter du mois d’août, la suppression du 13ème mois pour les salaires supérieurs à 2,5 SMIC, et la mise en place d’une prime à la mobilité volontaire de 4 000 euros bruts. Ainsi, des salariés pourront aller travailler sur d’autres sites de Derichebourg Aeronautics en France où des postes sont à pourvoir. En contrepartie de ces efforts des salariés sur leur salaire jusqu’à 170 euros mensuels, aucune rupture de contrat de travail pour motif économique ne sera réalisée avant le 31/12/2020”, précise le document.

Un dispositif du même type est envisagé au sein du journal L’Équipe. La direction envisage en effet de baisser les salaires, le 13e mois et les jours de RTT. En échange, elle promet de maintenir la totalité de l’emploi pendant 4 ans et demi.

Quid du chantage au licenciement ?

Le gouvernement reste cependant vigilant face aux risques de chantage au licenciement. La semaine dernière, Muriel Pénicaud condamnait l’attitude de Ryanair, dont la direction a proposé de baisser de 10 % la rémunération de son personnel navigant commercial pendant 5 ans.

Difficile de trouver une réelle différence entre le projet de la compagnie aérienne et celui de Derichebourg. Il ne s’agit visiblement que d’une question de contexte, au cas par cas. “Si les personnels de Ryanair étaient payés 30% de plus que le marché,  je pourrais entendre : ‘On a un problème structurel et ça suppose de revoir notre modèle pour être à peu près comme les autres’. Mais je ne suis pas sûre que ce soit la situation », a réagi mercredi dernier la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, Agnès Pannier-Runacher, sur France Inter.

Un potentiel licenciement via l’APC sera-t-il malgré tout contestable ?

“Il ne s’agit pas d’un licenciement économique, mais d’un licenciement fondé sur le refus d’un accord signé : un licenciement sui generis. Bien sur, le salarié peut toujours tenter de passer devant le conseil des prud’hommes, et essayer de trouver des raisons pour lesquelles l’accord de performance collective ne serait pas valable. Mais il ne s’agira jamais que d’un potentiel vice de formes : par exemple, s’il n’a pas été signé par des organisations syndicales qui représenteraient au moins 50 % des salariés”, remarque Me Timothé Lefebvre. Mais au-delà de ces irrégularités potentielles, le collaborateur ne peut pas contester la cause économique de son licenciement, puisqu’il s’agit d’un licenciement sui generis.

“Il faut malgré tout garder en tête que les circonstances actuelles sont exceptionnelles. Le gouvernement essaie de sauver l’emploi à tout prix, et les entreprises aussi ; quitte à baisser les salaires, ou la durée du travail. Et si Muriel Pénicaud laisse entendre concernant Ryanair qu’un APC engage en contrepartie l’entreprise à ne pas supprimer de postes, c’est faux. Dans l’article L 22-54-2 du Code du travail, seuls les objectifs poursuivis par l’accord doivent être définis. Mais aucune contrepartie n’est obligatoire”, conclut l’avocat.

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