Alors que la baguette française vient d’être inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco, la boulangerie a besoin de bras… En vente comme en fabrication, le secteur cherche à pourvoir, chaque année, entre 9 000 et 11 000 postes dans toute la France. Et les profils en reconversion sont les bienvenus.
Fournée générale, les offres d’emploi se multiplient comme des petits pains ! Car il faut des bras pour renforcer les 180 000 actifs qui œuvrent en boulangerie-pâtisserie, dont deux tiers d’employés et une parité d’apparence trompeuse : si l’on compte 51 % de femmes sur l’ensemble des effectifs, elles sont, en fait, majoritairement à la vente. Mais le fournil ne leur est pas fermé, loin de là. Les nouvelles recrues font progressivement changer la donne. Chaque année, la boulangerie en recherche de 2 000 à 3 000 pour la vente et de 7 000 à 8 000 pour la production.
Pour autant, il n’est pas évident de trouver des candidats, regrette Jean-François Feuillette, fondateur, en 2009, de la chaîne de boulangeries portant son nom : « Nous sommes en sous-effectif, avec 5 % de postes vacants sur tout notre réseau d’une cinquantaine de boutiques en France. Et comme les ouvertures de magasins vont se poursuivre cette année, j’ai besoin de recruter 150 boulangers et 150 personnes en vente. » Or, il constate que les jeunes ne sont pas suffisamment attirés par le secteur : « les horaires sont décalés, on travaille souvent quand les autres se reposent, c’est-à-dire le week-end et la nuit. » Même si, aujourd’hui, les équipes peuvent se relayer en deux temps : par exemple, de 5h à midi puis de midi à 19h30. Et des adresses sont parfois fermées samedi ou dimanche, voire les deux. « Mais c’est un métier artisanal de passion », insiste Jean-François Feuillette.
Une profession très ouverte aux reconversions
Cette dimension concrète et utile apporte du sens à des actifs qui le recherchent de plus en plus. Ils n’hésitent donc pas à se réorienter, a fortiori depuis le début de la pandémie qui a entraîné, chez certains, une remise en question et une volonté de changement. Parmi les profils cités par des professionnels de la boulangerie, une juriste, un ambulancier, un militaire ou un comptable qui ont un lien affectif avec le pain. C’est également le cas de Vincent Dulout, Parisien de 46 ans qui, après avoir fermé son agence de communication, a débuté, au printemps 2021, un CAP de boulanger : « j’ai voulu couper le cordon numérique, trouver ma bonne place dans le monde, faire quelque chose de vertueux. Je suis très manuel et j’adore le pétrissage à la main. Pour l’instant, j’apprends et, ensuite, on verra comment cela germera. » Il est en apprentissage chez Sain, boulangerie du 10e arrondissement de Paris ouverte fin 2018 par Anthony Courteille. « Je reçois beaucoup de demandes pour des reconversions. J’ai la responsabilité de transmettre mes connaissances et mon savoir-faire. Mais c’est un échange : ces personnes ont aussi des choses à m’apporter, elles partagent leur propre expérience dans un tout autre domaine et me questionnent sur le mien. » Cela fait écho au parcours de ce quadragénaire créatif : « Je suis heureux de faire ce dont j’ai envie, alors que quand j’étais adolescent, j’avais un peu honte de dire que je voulais être boulanger. Néanmoins, j’en ai eu l’audace et, par chance, mes parents ont respecté mon choix de ne pas aller en classe de seconde générale : j’ai décroché mon CAP à 17 ans. Ensuite, je suis devenu chef pendant des années. » Puis il est revenu au pain et observe que « l’engouement actuel autour de la cuisine s’étend, à présent, à la boulangerie. » Un mouvement qui s’accompagne d’une croissance des vocations féminines, selon Dominique Anract, président de la confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie : « Il y a environ 30 % de jeunes femmes dans les formations en boulangerie. Fabriquer du pain reste dur physiquement mais les charges à porter sont moins lourdes : les sacs de farine pèsent 20 kg, au lieu de 50 kg auparavant, et la mécanisation aide de nombreux gestes. »
Un secteur réglementé
Ce qui ne change pas, c’est la réglementation de la profession. La confédération précise que « la loi protège les dénominations boulanger et boulangerie. Ainsi, seuls les professionnels assurant eux-mêmes, à partir de matières premières choisies, le pétrissage, la fermentation, la mise en forme et la cuisson du pain sur le lieu de vente, sont autorisés à les utiliser. » Un encadrement strict qui prévoir un diplôme minimal obligatoire pour exercer en tant que boulanger : le certificat d’aptitude professionnelle (CAP). « L’idéal, c’est de le suivre en alternance, pendant deux ans, explique Jean-Yves Gautier, président de la commission formation à la confédération. Le cursus peut ne durer qu’un an pour ceux qui ont déjà un CAP pâtisserie ou quelqu’un en reconversion avec d’autres diplômes. » Une fois le CAP en poche, il est possible de décrocher, en deux ans, un brevet professionnel (BP), pour approfondir les connaissances.
Autre voie, le bac professionnel boulangerie-pâtisserie, détaille Jean-Yves Gautier : « il est plutôt destiné aux futurs chefs d’entreprise et chefs d’équipe dans la grande distribution ou dans une enseigne franchisée. » Quant au brevet de maîtrise (BM), équivalent à un bac+2, il relève en général de la formation continue : en deux ans, on acquiert des compétences en gestion, management, comptabilité, dans la perspective de créer son entreprise ou d’en reprendre une. Une spécialisation supplémentaire est par ailleurs très prisée sur le marché de l’emploi : le certificat de qualification professionnelle (CQP) pour devenir tourier, c’est-à-dire façonner les viennoiseries.
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Afin de renforcer ses équipes, Jean-François Feuillette a décidé de monter un autre CQP, d’une durée de 400 heures, en partenariat avec Pôle emploi pour le financement : de mars à mi-juin, une dizaine de personnes en reconversion ou au chômage sont formées à la boulangerie avec, à la clé, un CDI dans l’un des magasins Feuillette. « Si cela s’avère concluant, nous le renouvellerons, assure le chef d’entreprise. Ce qui compte c’est que les candidats soient motivés, quels que soient leur diplôme ou leur expérience antérieure. » L’importance du savoir-être est soulignée dans une étude citée par Domitille Flichy, à la tête des boulangeries parisiennes Farinez’vous, lancées en 2009 : « il s’agit du premier critère d’embauche avancé par les recruteurs. C’est pourquoi, à la vente comme à la fabrication, la boulangerie est un secteur porteur en matière d’insertion. Pour ma part, j’accueille jeunes et adultes en rupture avec la société : ils signent un contrat de quatre mois, renouvelable, et peuvent rester au maximum deux ans chez nous. En 2021, nous avons créé une formation d’aide boulanger, pour ceux qui n’ont pas le niveau CAP, par exemple parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue française. »
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La boulangerie peut constituer un véritable tremplin pour une ascension professionnelle et sociale, comme le raconte Jean-François Feuillette : « Deux apprentis sont arrivés chez moi à 16 ans. Je les ai ensuite embauchés et, au bout de quelques années, le couple est devenu franchisé Feuillette à Nancy. En 2022, il ouvrira une seconde adresse dans les Vosges. » Dominique Anract renchérit : « En boulangerie, il y a des belles réussites possibles, même sans diplôme de haut niveau. Et puis, comme ce sont des emplois qui ne sont pas délocalisables et qu’il y a 35 000 points de vente en France, on peut trouver du travail près de chez soi. Ou bien cela peut permettre de changer de région, voire de s’installer à l’étranger. C’est un excellent passeport. » Perrine Le Quéré, 24 ans, est bien décidée à jouer la carte internationale. L’apprentie en CAP boulangerie compte sur son diplôme pour voyager : « le savoir-faire français est réputé dans le monde entier. Et comme j’ai déjà un CAP en pâtisserie, je ne devrais pas avoir de mal à me faire embaucher. Rien à voir avec la communication, domaine bouché qui m’a pourtant tenté avant que je ne réoriente mes études. C’est vraiment la boulangerie que j’aime, car je ressens la pâte, elle est vivante. Et j’apprécie que le fruit de mon travail touche les clients au quotidien. » Pas de doute, cette Bretonne enthousiaste préfère être au four qu’au moulin !