Les soft skills, ou compétences comportementales, ont le vent en poupe dans le domaine du recrutement. Mais attention à ne pas oublier les compétences techniques…
Les recruteurs misent de plus en plus sur le savoir-être. Selon une étude de Monster.fr, 52 % des recruteurs font aujourd’hui des « softs skills », ou « compétences comportementales », un critère déterminant à l’embauche. Selon une enquête de Pôle emploi, six employeurs sur dix estiment même qu’elles sont « plus importantes » que celles de la sphère technique (1).
« Au delà des hard skills, on a toujours eu besoin d’un certain nombre de compétences comportementales, pour réussir à évoluer en entreprise. Raison pour laquelle des tests de personnalité sont depuis longtemps conduits pour évaluer les traits de personnalité en rapport avec l’emploi occupé. Mais dernièrement, il y a eu une explosion des soft skills, et c’est même devenu un mode de recrutement en soi », constate Stéphanie Denis-Lecerf, DRH France du cabinet de recrutement Michael Page et présidente de l’association À compétences égales, qui lutte contre la discrimination dans le recrutement.
Selon elle, si les soft skills sont sur toutes les lèvres, c’est parce qu’avec les nouvelles technologies, et en particulier l’Intelligence artificielle, « la durée de vie des hard skills décroît : il faut sans cesse les mettre à jour, tandis que 85 % des métiers de 2030 n’existent pas encore, ce qui fait que l’on recrute davantage sur le potentiel de la personne et sa capacité à se projeter dans une nouvelle organisation, que sur le diplôme et les expériences passées. »
Alors que les compétences techniques deviennent vite obsolètes, « les compétences comportementales ont une durée de vie illimitée, et sont presque des prérequis pour naviguer dans un monde du travail volatil et chaotique. Ce qui compte désormais, ce n’est plus tant d’avoir des hard skills, que d’être en capacité de les renouveler – grâce à sa créativité, sa capacité à communiquer, sa curiosité… », indique Michel Barabel, maître de conférences à l’Université Paris Est.
Pour Jérôme Hoarau, conférencier et coach en « efficacité professionnelle et prise de parole en public », les soft skills sont importantes à plusieurs titres pour un demandeur d’emploi ou un salarié en poste. « Ces ‘compétences douces’ permettent à la personne d’être plus résiliente et de s’adapter plus facilement. Ce sont aussi des compétences qui font qu’un professionnel est bon ou pas dans son métier. Un boxeur aura beau être le plus rapide et maîtriser les crochets, ce qui en fera un champion, ce sont sa détermination, sa motivation, sa rigueur. Enfin, quand il s’agit de postuler pour un poste, les soft skills nous permettent de nous différencier, parmi des centaines de profils », explique-t-il.
Savoir-être contre bagage technique
Les compétences comportementales vont-elles se substituer totalement aux compétences techniques ? Attention à ne pas oublier les hard skills, prévient Vincent Berthelot, consultant en RH auprès des entreprises : « L’erreur, ce serait pour un candidat de bâtir son CV autour des soft skills et pour un recruteur de ne rechercher que cela. Les soft skills sont une aide, elles viennent en plus, mais elles ne remplaceront jamais le coeur du métier. L’idée, c’est juste d’ajouter une partie humaine à une base technique, par exemple pour éviter que des personnes compétentes passent mal parce qu’elles ont un relationnel détestable. Mais il ne faut pas négliger les hard skills, car même quelqu’un avec la meilleure rigueur et la plus grande motivation du monde risque d’avoir du mal à s’en sortir sans bagage technique. »
Selon l’étude de Monster, ces derniers seraient de plus en plus nombreux à rechercher surtout des profils capables de « s’adapter », quitte à les former ensuite. « Ce n’est pas totalement impossible de recruter quelqu’un qui apprend sur le tas, j’en ai déjà vu dans certaines entreprises, mais globalement, pour la plupart des postes, mieux vaut avoir dès le départ des connaissances techniques, afin d’être opérationnel le plus tôt possible. Plus on a de soft skills, mieux c’est… mais ils ne sont là que pour ‘booster’ les hard skills », estime Jérôme Hoarau.
Savoir être et traits de personnalité
Certaines entreprises, comme Auchan, Michelin ou Orange, expérimentent le recrutement sans CV : « quand il s’agit de postes nécessitant peu de diplômes, elles font passer des tests aux candidats pour connaître leurs aptitudes à évoluer dans un environnement de travail qui demande énormément de qualités humaines. Cela permet de donner leur chance à des gens que l’on n’aurait pas forcément repéré autrement », remarque Stéphanie Denis-Lecerf.
Mais paradoxalement, la définition encore trop floue des soft skills pourrait aussi être source de dérives. « Les compétences comportementales ne sont pas un concept scientifique, et le problème, c’est que l’on a tendance à les confondre avec des traits de personnalité ou des états émotionnels. Certains recruteurs font des raccourcis dangereux, en confondant par exemple le fait d’être extraverti avec la capacité à savoir communiquer – ce qui n’a rien à voir. En cherchant à mesurer la personnalité, qui n’est pas liée à la performance, on se trompe de critère – avec le risque de recruter, au ‘feeling’, les mauvaises personnes », analyse Cécile Jarleton, chercheuse en psychologie du travail au Lab RH, une association qui fédère des acteurs de l’innovation RH.
« Le risque avec les soft skills, ce serait surtout de choisir finalement des personnes qui se ressemblent toutes, jusqu’à recruter des clones, et conduire à une standardisation de profils types, avec un manque d’ouverture au sein de l’entreprise. Mais les recruteurs que nous avons interrogés font très attention à cela », indique Karl Rigal, responsable éditorial de Monster.
Sublimer ses hard skills
« Quand ils sont bien définis, et qu’ils ne sont pas confondus avec des traits de personnalités, les soft skills sont la garantie pour l’entreprise que le candidat saura sublimer ses hard skills. Non, les compétences comportementales ne remplaceront jamais les compétences techniques – mais simplement, les deux sont complémentaires. L’époque où l’on recrutait un individu uniquement pour ses connaissances à un instant T est révolue, et le savoir être est dans ce contexte nécessaire pour permettre à ce dernier de se réinventer, afin de rester toujours employable », note Michel Barabel.
Pour les demandeurs d’emploi, la complémentarité entre compétences techniques et comportementales « devrait signifier une seule chose, conclut Cécile Jarleton : quand ils chercheront un emploi, ils devront identifier, au-delà des hard skills attendues, les soft skills recherchées pour le poste visé, et les exemples dans leur vie professionnelle à valoriser. Ce qui implique pour eux d’apprendre à se connaître. »
(1) Pôle emploi a listé 14 « compétences comportementales » privilégiées par les recruteurs : il s’agit de la gestion du stress, de la capacité d’adaptation, du sens de l’organisation, de la rigueur, du travail en équipe, de la capacité à fédérer, de la force de proposition, de la curiosité, du sens de la communication, de la persévérance, de l’autonomie, de la capacité de décision, de la prise de recul et de la réactivité.