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Mal-Emploi : « Depuis trois ans, le travail précaire et le nombre de découragés augmentent de façon significative »

Selon un rapport de l’Observatoire des inégalités, le taux de chômage en baisse en France (8,7 %) « reflète mal la dégradation du marché du travail ». Ainsi, plus de 8 millions de personnes sont en situation de « mal-emploi ». Décryptage avec Anne Brunner, qui a co-dirigé l’étude.

 

Comment définissez-vous le « mal-emploi » ?

En référence aux travaux de la Fondation Abbé Pierre sur le « mal-logement », nous essayons de cerner toutes les personnes en situation de chômage ou de précarité dans l’emploi. Une personne sur 4 parmi celles qui travaillent ou qui le souhaiteraient, soit 8 millions d’individus, sont en situation de mal-emploi. Parmi elles, on compte 2,8 millions de chômeurs, mais aussi 3,7 millions de « travailleurs précaires » – salariés, mais avec un contrat à durée limitée (CDD, intérim, intermittents).

Nous prenons aussi en compte certaines personnes que l’Insee considère comme « inactives », et qui ne sont plus comptées parmi les chômeurs. Au nombre de 1,6 million, elles sont pourtant disponibles et souhaitent travailler – mais la massification du chômage les décourage tellement qu’elles ne recherchent plus activement un emploi. Pour elles, il ne suffit pas de traverser la rue pour retrouver du travail, et elles finissent par ne plus y croire.

Il serait facile de contester nos chiffres, et d’arguer qu’une partie des travailleurs précaires ont choisi de travailler en CDD pour raisons personnelles ; mais il ne s’agit que d’une minorité. Et nous ne comptons pas toutes les personnes qui sont en temps partiel et qui souhaiteraient travailler plus. Également au nombre de 1,6 million, elles ne peuvent être ajoutées à notre décompte, car parmi les travailleurs précaires, on trouve des personnes qui sont à la fois en contrat court et à temps partiel, si bien que nous risquerions de les compter deux fois.

 

En quoi les chiffres du chômage mis en avant par l’Insee et le BIT ne reflètent dès lors pas la réalité du marché du travail ?

Nous nous appuyons sur les données de l’Insee, et nous suivons la définition du chômage selon le BIT. Mais si nous élargissons le concept du chômage au mal-emploi, c’est pour dresser un état des lieux de toutes les situations qui relèvent de personnes souhaitant travailler davantage, ou avoir une situation plus stable sur le marché de l’emploi, mais ne le pouvant pas.

Le découragement des 1,6 million d’inactifs pourtant disposés à travailler s’explique par la massification du chômage – qui ne concerne certes pas les cadres et les professions intermédiaires, mais qui en empêche d’autres de trouver un emploi, en particulier les ouvriers non qualifiés et les employés. Pour eux, il ne suffit pas de traverser la rue pour retrouver du travail, et ils finissent par ne plus y croire.

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Cette situation est-elle préoccupante ?

Depuis trois ans, le travail précaire augmente de façon significative, après une stabilisation de près de dix ans, pour revenir au niveau des années 1990. Ainsi, le taux de précarité est de 13,6 % en 2017, contre 12 % dix ans plus tôt. Cela constitue un phénomène inquiétant.

Quand on regarde qui est touché par le chômage et la précarité de l’emploi, il s’agit massivement des plus jeunes, et en particulier les moins diplômés. Trois ans après leur sortie de l’école, ils sont à 65 % en CDD ou intérim, contre 18 % des diplômés de niveau bac + 5. Ce sont eux qui passent massivement dans la précarité de l’emploi, et qui sont touchés à la fois par le chômage et l’alternance entre périodes de travail (en contrats courts) et périodes d’inactivité. Ils occupent des postes précaires faute de mieux, en attendant de décrocher un CDI… après une longue période d’insécurité, qui a lieu à un moment où ils cherchent à se projeter dans l’avenir.

Sans emploi stable, il est très difficile d’obtenir un revenu salarial correct permettant d’accéder à un logement, de s’établir en couple, de fonder une famille. La possibilité ou non de se projeter constitue l’une des fractures majeures de la société française, entre des personnes en CDI dans le privé ou fonctionnaires, et d’autres qui sont dans une insécurité permanente et qui doivent répondre à la flexibilité attendue par les employeurs et le marché du travail.

 

Les réformes actuelles du gouvernement (bonus-malus sur les contrats courts, plus grand contrôle des chômeurs) sont-elles en mesure de réduire le mal-emploi ?

Les travailleurs peu qualifiés et peu diplômés sont loin d’être des profiteurs – les fraudes aux allocations chômage existent, mais n’expliquent pas le taux de chômage de ces populations. C’est le marché de l’emploi en lui-même qui les freine et les décourage.

Quant au bonus-malus sur les contrats courts, il faut être prudent : le recours aux CDD relève peut-être d’un besoin des employeurs, mais peut-être aussi d’une société qui attend fondamentalement de plus en plus de flexibilité. Cette mesure, que notre Observatoire préconisait depuis 2016, va sans doute dans le bon sens, mais elle est loin d’effacer celles qui par le passé ont facilité la flexibilité du travail – comme les réformes de la Loi Travail de 2017. Difficile de croire, donc, que cela suffira à inverser, sur le long terme, une tendance de fond.

 

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