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Pour réguler les contrats courts “sans contraindre les entreprises”, une “contribution unique dégressive” ?

Comment réguler les contrats courts, “tout en préservant l’assurance chômage”, et sans “contraindre les entreprises” ? Pour répondre à cette question, la Délégation aux entreprises du Sénat a confié à l’Observatoire français des conjonctures économiques la mission de réaliser une étude sur les contrats courts. Il en ressort 7 pistes, destinées à “concilier flexibilité et sécurité”, sans renchérir le coût du travail, ni freiner l’embauche. Solution retenue par le Sénat : une surcontribution dégressive.

 
“Environ 800 000 chômeurs sont dans une situation de permittence (le fait d’occuper de manière permanente des emplois précaires chez un même employeur) depuis plus de 5 ans, ce qui contribue à renchérir le coût de l’assurance chômage et à gonfler les chiffres du chômage”, explique Élisabeth Lamure, sénatrice du Rhône et présidente de la Délégation sénatoriale aux entreprises, citant une estimation de l’Unédic. Depuis 2000, le nombre de contrats courts (interim, CDD de moins d’un mois) a triplé – en particulier dans des secteurs qui s’adaptent à une demande versatile en fonction de la “saisonnalité”, tels que l’hôtellerie restauration ou l’hébergement médico-social.

“Mais pour autant, on s’aperçoit qu’il y a un développement de la réembauche : 82 % des contrats courts étaient des réembauches en 2012, et peuvent être qualifiées de relations suivies avec l’employeur, ce qui dénote un dysfonctionnement du marché du travail”, remarque Frédérique Puissat, sénatrice de l’Isère, rapporteure de la commission des affaires sociales sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Car les conséquences de ce recours aux CDD, “ce sont une hausse de la précarité et un coût pour l’assurance chômage, d’environ 2 à 9 milliards d’euros selon l’Unédic”, indique-t-elle.

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La surtaxation des CDD en 2013-2017 “n’a pas été efficace”

Alors que le gouvernement envisage, par décret, une taxation des contrats courts et un “bonus-malus” si les négociations actuelles sur la convention d’assurance chômage (qui devraient s’achever en février 2019) n’aboutissent pas à une solution visant à réguler différemment les contrats courts, une étude de l’OFCE réalisée en octobre-novembre dernier pour le Sénat, publiée le 19 décembre, indique que la surtaxation des CDD mise en place entre 2013 et 2017 “n’a pas été efficace, car elle était minime et mal ciblée, prévoyant trop d’exemptions”. Ainsi, “trop rigide, elle a créé des effets de seuil et des possibilités de contournement”, indiquent les économistes à l’origine du rapport remis au Sénat, Éric Heyer et Bruno Coquet.

Afin de “ne pas renchérir le coût du travail, mais aussi de ne pas punir les entreprises, et au contraire les inciter”, l’OFCE préconise de ne pas taxer les organisations sur “toute leur masse salariale”, mais seulement de “renchérir les comportement non vertueux”. Elle liste plusieurs solutions possibles pour une régulation économique autre que la taxation forfaitaire en fonction de chaque durée de contrat. À commencer par la création d’une caisse d’indemnisation du chômage temporaire, séparée de la caisse ordinaire. “Mais ce système, inspiré de ce qui se fait aux USA, où ce sont les employeurs américains qui financent cette caisse, est difficile d’accès sans bouleverser profondément les fondements actuels de l’ensemble du système d’assurance chômage”, indiquent les chercheurs.

Une autre solution serait de transformer le CDD d’usage (CDDU) en CDI intérimaire, afin d’imputer la charge des inter-contrats aux employeurs. “Mais cela contraindrait trop ces derniers dans leur choix quant à la nature des contrats de travail”, affirme Élisabeth Lamure. L’OFCE a également listé parmi les mécanismes de régulation potentiels la modulation par secteur, qui consisterait à réduire les subventions croisées entre les différents domaines d’activité. “Mais cette fois, cela créerait des inégalités entre des entreprises usant pareillement des contrats courts mais appartenant à des secteurs différents”, notent les économistes. Reste une potentielle modulation par entreprise… “qui serait extrêmement lourde à mettre en place et se trouverait décalée dans le temps par rapport au comportement à réguler”.

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“Le but, c’est que les comportements s’ajustent”

Finalement, l’OFCE préconise autre chose : une modulation selon le principe d’une “contribution unique dégressive” – une surcontribution qui serait applicable durant les 6 premiers mois de tout contrat (quel qu’il soit), mais qui serait ainsi dégressive selon l’ancienneté du CDD / CDI / intérim, afin de pénaliser plus fortement les durées de contrat les plus courtes. “Le principe de base, c’est qu’on n’augmente pas le coût du travail, et que cette contribution est calculée pour être neutre ; le but, c’est que les comportements s’ajustent”, explique Éric Heyer.

Avec cette surcontribution dégressive, pas de “punition” : “dans un système classique de bonus-malus, avec des tarifications en fonction des risques, si vous avez trop de sinistres, on ne vous assure plus. Avec l’assurance chômage, on continuerait de vous assurer. Mais simplement, on instituerait une tarification en fonction du comportement”, note l’économiste. “Avec la contribution unique dégressive, si votre contrat de travail dure, votre taux de contribution baisse. Une majorité d’entreprises, environ 75%, paye pour une minorité qui utilise les contrats courts. Si vous réformez cela, vous auriez ainsi plus de gagnants que de perdants”, ajoute-t-il. Ainsi, ce système permettrait, selon le chercheur d’abaisser la contribution commune pour l’ensemble des contrats durant plus de six mois, “sans effet de seuil”, en répartissant “plus efficacement les contributions patronales à l’assurance-chômage”.

Quid des secteurs qui de par leur nature, ont recours à des CDD ? “Ce sont des choix organisationnels, bien souvent. Et une assurance chômage n’a pas à indemniser des choix, car un choix n’est pas un risque. Comme on ne fait pas de distinction entre le chômage de courte durée qui provient de choix organisationnels, et celui qui provient de circonstances exogènes, on est donc obligés de trouver un mécanisme d’équilibre, une tarification dégressive”, remarque Bruno Coquet.

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–> Selon le principe de la « contribution unique dégressive” proposée par l’OFCE et la Délégation aux entreprises du Sénat, tous les contrats (CDI, CDD, intérim) seraient redevables d’une contribution de 7 % le premier mois, qui baisserait de 0,5 points par mois tant que le contrat n’est pas rompu, et ce pendant 6 mois, jusqu’à atteindre le nouveau taux normal de 3,75 %.

 

Un “système de franchise”

Afin d’éviter que ce système constitue une “taxe à l’embauche”, l’OFCE propose de l’assortir d’un “système de franchise” – les entreprises étant exemptées de surcontribution “tant que celle-ci ne dépasse pas un certain montant” (1 500 euros, dans l’exemple d’Eric Heyer et Bruno Coquet). “Cette franchise bénéficierait principalement aux entreprises petites ou en croissance, qui ne peuvent éviter d’utiliser des contrats courts, ni éviter que ces contrats ne pèsent fortement dans leur masse salariale même si elles en usent modérément. Et elle permettrait aussi d’épargner de surcontribution la majorité des employeurs qui utilisent peu les contrats courts”, explique Élisabeth Lamure.

“Évidemment, il ne s’agit que d’une piste pour nourrir les débats entre les partenaires sociaux, et pas d’une solution toute faite. Notre proposition n’exclut pas de discuter également de la nature des contrats de travail, ainsi que des choix organisationnels”, note Bruno Coquet, qui fait allusion à une potentielle transformation des CDDU en cdi intérimaires, ou à une possible caisse de chômage temporaire. L’OFCE préconise notamment de réfléchir à lutter contre le recours aux CDD “à la racine”, notamment en réfléchissant à revoir les règles d’indemnisation qui favorisent ces contrats courts, ainsi que l’encadrement juridique des CDD d’usage, “dont la complexité et la plasticité ont pu alimenter certaines dérives”.

 
 

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