Comment relancer l’emploi pendant et après la crise ? L’analyse de Franck Morel, avocat, ex-conseiller d’Édouard Philippe et auteur d’une note pour l’Institut Montaigne sur le sujet.
Les mesures destinées à maintenir l’emploi face au Covid-19 sont-elles suffisantes ?
En matière de temps de travail, la mesure phare, c’est l’activité partielle, qui a permis de sauver de nombreux emplois. La possibilité pour l’employeur de décider des dates de la prise des jours de repos et des RTT va aussi dans le bon sens. Tout comme le développement des accords de performance collective, un mécanisme très souple qui permet de faire prévaloir la règle collective sur la règle individuelle. Toutes ces mesures sont positives, et il était de toute façon indispensable de multiplier les outils pour faire face aux sous-charges d’activité.
Mais viendra un temps où il faudra se poser la question dans l’autre sens : comment faire face aux surcharges ? Il faudra avoir recours à la même souplesse pour augmenter le temps de travail en période de reprise. Certains outils, comme les accords de performance collective, par exemple, peuvent fonctionner dans les deux sens.
Mais il est possible d’aller encore plus loin. Par exemple, dans mon rapport pour l’Institut Montaigne, je propose que l’on puisse déplacer la 5e semaine de congés payés, sur 3 ans, par accord collectif et avec une majoration de salaire. Ce qui me paraît un outil intéressant, pour permettre de faire face aux sous-charges, mais aussi aux surcharges d’activité post-crise.
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Vous recommandez aussi d’adapter les règles des contrats de travail pour faciliter l’embauche…
J’ai émis 4 propositions dans ce sens. La première consisterait à pérenniser l’assouplissement des règles sur le prêt de main d’oeuvre entre entreprises, mis en place par le gouvernement à titre temporaire. Ce dispositif est bénéfique pour tout le monde : il permet à l’entreprise prêteuse de ne pas se séparer d’un salarié précieux, à l’entreprise emprunteuse de répondre à un besoin sans s’engager sur la durée, et au salarié de préserver son emploi.
Pour favoriser l’embauche pendant la crise, je propose aussi, pour les CDD et les contrats de travail temporaires longs, de supprimer les délais de la carence. De manière temporaire, cela permettrait de favoriser l’embauche en contrats longs. Un autre outil intéressant, c’est le CDI intérimaire. Il permet à l’entreprise de faire face à un surcroît d’activité, et au salarié de bénéficier des avantages du CDI, tout en conservant la diversité des missions du travail temporaire. Mais il faudrait supprimer l’exigence légale de motif de recours pour les missions du CDI intérimaire, afin de le rendre plus flexible.
Dernier dispositif qu’il me paraît intéressant de remanier : le contrat de chantier. Avant 2017, il était réservé au BTP. Désormais, il peut être utilisé dans toutes les branches d’activité, dès lors qu’elles ont conclu une convention ou un accord collectif étendu. Actuellement, 10 branches y ont recours. Mais il serait possible d’aller plus loin en l’ouvrant à l’accord d’entreprise.
Ces mesures ont vocation à être pérennisées. Elles pourraient, et devraient, être utilisées pendant et après la crise du Covid-19.
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Les salariés auraient-ils des contreparties en échange de ces mesures qui flexibiliseraient le travail ?
Première contrepartie : ces mesures sont subordonnées à l’existence d’un accord collectif, donc au dialogue social. A partir du moment où vous subordonnez l’usage d’un dispositif à un accord collectif, sur le terrain, les parties qui vont le négocier vont chercher un équilibre entre elles.
Favoriser la démocratie sociale est important car il s’agit d’un gage d’une meilleure appréhension des sujets, de manière pacifiée et la plus proche possible des besoins des acteurs. On l’a bien vu dans les entreprises au plus fort de la crise sur les sujets des protocoles de sécurité et de l’activité partielle ; quand on passait par le dialogue social, les mesures étaient plus facilement acceptées par l’ensemble des parties prenantes. Je propose notamment d’élargir le champ du référendum d’entreprise, voire de créer des référendum de branche dans certains cas.
Ensuite, même si ma proposition peut paraître un peu originale, il s’agirait de permettre, de manière expérimentale, aux signataires d’accords collectifs de réserver des avantages à leurs seuls adhérents. Ce qui encouragerait le syndicalisme qui s’engage, et donc le dialogue social.
Ensuite, la plus vaste des contreparties c’est tout de même l’accès à l’emploi : si vous assouplissez les conditions du prêt de main d’oeuvre, c’est pour garder un salarié, pour éviter de le licencier.
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