Le Smic en France a augmenté de 1,2 % au 1er janvier, son montant horaire passant à 10,15 euros brut. Alors que le Royaume-Uni prévoit de revaloriser le sien de 6 %, faisant passer son taux horaire à 10,24 euros, devrions-nous imiter notre voisin ? L’analyse d’Éric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, et de Christophe Ramaux, économiste à Paris 1 Sorbonne.
Après une revalorisation de 1,5 % l’année dernière, le Smic augmente de 1,2 %. Il ne s’agit pas d’un “coup de pouce” : cette revalorisation est “automatique”, et correspond à l’application d’une formule qui prend en compte l’inflation et la hausse du pouvoir d’achat des ouvriers et employés. Pendant ce temps, au Royaume-Uni, le gouvernement prévoit d’augmenter son salaire minimum de 6,2 % pour les plus de 25 ans. Ce qui constituerait la plus forte augmentation en valeur du “National Living Wage” depuis 2016. Avec cette hausse, il devrait dépasser le taux horaire du SMIC français.
Outre-Manche, le salaire minimum devrait être légèrement plus élevé que le nôtre. Serait-ce une bonne idée d’imiter nos voisins en l’augmentant drastiquement ?
* Christophe Ramaux : À l’exception du léger coup de pouce de 0,6 % décidée en 2012, la France n’a pas augmenté – au delà du réajustement légal – le salaire minimum depuis la crise de 2008, quand la plupart des pays européens, comme le Portugal et le Royaume-Uni récemment, l’ont fait. Nous sommes l’un des pays développés où l’augmentation du salaire minimum est la plus faible depuis dix ans, tandis qu’ailleurs, partout dans le monde, la « mode » si l’on peut dire est plutôt d’accorder l’équivalent d’un coup de pouce au Smic.
Le coût du travail n’est pas un argument recevable, car en France nous avons une spécificité : les allègements de cotisations employeurs. Ce faisant le coût global du travailleur payé au salaire minimum en France n’est pas dans la fourchette haute, mais dans la moyenne des pays développés.
* Éric Heyer : Imiter les autres, c’est bien de le faire quand l’on est dans le même contexte économique et conjoncturel. Or, nous ne sommes pas du tout dans la même configuration que celle de nos voisins européens, car ces derniers partent d’un niveau de salaire minimum bien inférieur. Par ailleurs, ils ont un marché du travail différent : ils sont souvent au plein emploi quand en France nous sommes encore dans un chômage de masse. Dans le cas du Royaume-Uni, où les salaires sont bas et où le chômage est faible, une telle revalorisation est plus pertinente qu’en France.
Pensez-vous qu’augmenter le Smic permettrait réellement de lutter contre la pauvreté ?
* CR : Le Groupe d’experts sur le salaire minimum de croissance, suivi par le gouvernement, préconise d’augmenter la prime d’activité pour améliorer les revenus des personnes au Smic. Mais recevoir une rémunération au titre d’une prestation de solidarité plutôt qu’au titre de son travail n’a pas le même sens : les personnes préfèrent être reconnues pour leur travail. Refuser les « coups de pouce », c’est dévaloriser un peu plus le travail des moins qualifiés. De plus, tous les travailleurs au salaire minimum n’ont pas droit à la prime d’activité, car elle dépend des revenus du ménage. Et cela revient à faire payer par l’État les hausses de rémunération plutôt que par les employeurs, ce qui creuse les inégalités de salaire et conforte l’austérité salariale.
Il faut rompre avec cette logique, car ce sont les salaires qui tirent la demande. Et l’on sait aussi que la propension à consommer pour les bas salaires est importante : les augmenter permet d’augmenter la demande, donc la production et l’emploi des entreprises. Offrir un coup de pouce au Smic aurait ainsi des effets bénéfiques sur l’économie et sur l’ensemble de la grille des salaires.
Les travailleurs sont plus productifs quand ils se sentent reconnus. Un argument des économistes libéraux consiste à considérer la productivité des salariés peu qualifiés comme faible, donc ne justifiant pas un salaire élevé. Mais ils oublient d’indiquer que si la valeur ajoutée, et donc la productivité, est faible, c’est en partie parce que les salaires sont bas.
Depuis une dizaine d’années, le Smic ne dépasse plus la revalorisation légale, et les gouvernements successifs enchaînent les politiques d’exonération de cotisations sociales depuis 1992, avec dernièrement le CICE puis le Pacte de responsabilité. Ils incitent ce faisant les employeurs à embaucher au Smic et à développer des carrières à ce niveau. Alors que le Smic était un salaire de début de carrière, il tend parfois à devenir toute la carrière. On enferme ce faisant des travailleurs au Smic, lequel on l’oublie souvent est souvent à temps partiel. Bref, on crée des « trappes à pauvreté ».
* EH : Le Smic ne cible pas la pauvreté : vous pouvez le toucher mais vivre dans un ménage aisé. C’est un instrument pour donner un niveau minimum à tout travail, afin d’éviter toute forme de dumping social.
Le Smic est là pour valoriser votre travail à sa juste valeur. Il augmente peu, mais il est déjà à un niveau élevé. Il est donc normal que sa croissance soit faible. Si l’on augmente trop vite ce plancher, des effets pervers peuvent survenir : vous risquez de renchérir le coût du travail, avec un impact négatif sur la compétitivité des entreprises, donc sur le coût du travail et les créations d’emploi. En outre, un Smic trop élevé rendrait quasiment inemployable une partie de la population (les personnes peu qualifiées) qui aurait une productivité plus faible, méritant un salaire moins important.
Je ne dis pas qu’augmenter le Smic serait une mauvaise idée, mais il représente 60 % du salaire médian, et il devrait rester à ce niveau, qui est relativement acceptable. Le principal n’est pas de l’augmenter, mais de préparer la situation économique pour que le chômage baisse et que les salaires médians ré-augmentent. C’est à ce moment là que le Smic pourra augmenter. L’idée, ce serait donc plutôt de mener une politique de l’emploi qui aurait pour effet d’accélérer les salaires.